Jacques Villemain, Vendée, 1793–1794. Crime de guerre ? Crime contre l’humanité ? Génocide ? Une étude juridique

Le géno­cide vendéen

Nous ren­dons régu­liè­re­ment compte des livres por­tant sur les guerres de Ven­dée, objet d’un débat his­to­rio­gra­phique et poli­tique majeur depuis plu­sieurs décen­nies. La que­relle des his­to­riens tourne aujourd’hui autour de la ques­tion du géno­cide per­pé­tré par la Conven­tion, nié par les uns, affirmé par les autres. Le débat rebon­dit avec la publi­ca­tion de l’étude du juriste Jacques Vil­le­main qui verse des pièces capi­tales au dos­sier. Ecrite avec clarté et sans jar­gon juri­dique, fon­dée sur une lec­ture minu­tieuse des dif­fé­rents tra­vaux his­to­riques, cette ana­lyse consti­tue un réel tour­nant.
L’auteur n’hésite pas à dési­gner les lacunes du tra­vail des his­to­riens, empri­son­nés dans leur démarche com­pa­ra­tive, à la fois juges et par­ties, et qui ignorent la défi­ni­tion juri­dique d’un géno­cide quand ils ne s’en moquent pas pure­ment et sim­ple­ment. Or, pour un juge « chaque fait cri­mi­nel est consi­déré comme unique pour lui-même et confronté non pas à un autre fait cri­mi­nel mais à la norme juri­dique ».

Ainsi fonde-t-il toute sa réflexion sur le Droit et la juris­pru­dence éla­bo­rés depuis 1945 et pré­ci­sés par les tri­bu­naux sur les crimes en You­go­sla­vie et au Rwanda notam­ment. La défi­ni­tion offi­cielle d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité et d’un géno­cide lui per­met de tirer des conclu­sions très nettes. Oui, il y a eu d’innombrables crimes de guerre en Ven­dée orga­ni­sés grâce à la loi du 19 mars 1793 qui met hors-la-loi (et de l’humanité) les Ven­déens et qui auto­rise contre eux toutes les actions jusqu’aux mas­sacres des pri­son­niers ou des bles­sés dans les hôpi­taux et les pires per­fi­dies dans les com­bats menés contre eux.
Oui, il y a eu crime contre l’humanité, c’est-à-dire « une attaque géné­ra­li­sée ou sys­té­ma­tique contre toute une popu­la­tion civile » faite de meurtres, de viols, de tor­tures, de dépor­ta­tions, orga­ni­sée par les lois du 1er août et du 1er octobre 1793. Jacques Vil­le­main affirme même que les Ven­déens exis­taient bel et bien en tant que groupe social (des pay­sans) et reli­gieux (catho­liques réfrac­taires). C’est un point cru­cial contre ceux qui nient le géno­cide en arguant de l’inexistence d’un « peuple » ven­déen. De toute façon, rapporte-t-il, « la seule chose qui importe en matière de géno­cide est moins ce que l’on est que ce que le géno­ci­deur croit qu’on est. »

Car il y a bien eu géno­cide. Pour l’auteur, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Toute l’action répres­sive menée, au moins à par­tir de jan­vier 1794, si ce n’est l’automne 1793, en porte la marque. Les textes de Tur­reau, de Lequi­nio ou de Car­rier éta­blissent juri­di­que­ment la nature de leurs crimes. Vil­le­main explique dans des pages lumi­neuses qu’en matière de Droit la façon dont on tue les vic­times ne compte pas pour défi­nir un géno­cide (gaz, machette, poi­son, famine), pas plus que le nombre de morts ou le fait de caté­go­ri­ser les vic­times (les hommes seuls ciblés) ou l’absence d’idéologie (d’autant qu’il en existe une à l’œuvre en Ven­dée, celle de la régé­né­ra­tion de l’humanité).
Rien que le mas­sacre des Lucs-sur-Boulogne suf­fi­rait à qua­li­fier l’entreprise de Tur­reau de géno­cide. La com­pa­rai­son avec la Shoah n’a, argu­mente Jacques Vil­le­main, aucune valeur car dans ce cas il aurait été impos­sible de qua­li­fier de géno­cide les crimes au Rwanda ou à Srebrenica.

L’auteur dresse ensuite un réqui­si­toire pré­cis contre trois acteurs majeurs du géno­cide : Tur­reau à la tête d’une chaîne de com­man­de­ment impla­cable mais cou­vert par le Comité de Salut Public ; Car­rier, tout sauf fou ; et Robes­pierre, l’idole de la gauche, qui ne laisse aucune trace de ses ordres mais qui domine le tout-puissant Comité dont les déci­sions étaient col­lé­giales, ce qui rend tous ses membres res­pon­sables. Les « petits bouts de papier » trou­vés par Rey­nald Secher consti­tuent bien des ordres d’extermination, même si Jacques Vil­le­main reste pru­dent pour la période pré­cé­dant jan­vier 1794.
Ce livre est donc fon­da­men­tal. Il apporte la pièce man­quante au dos­sier ven­déen, celle du Droit. Désor­mais, plus aucun doute n’est per­mis. Un crime de géno­cide a bien été per­pé­tré contre les Vendéens.

fre­de­ric le moal

Jacques Vil­le­main, Ven­dée, 1793–1794. Crime de guerre ? Crime contre l’humanité ? Géno­cide ? Une étude juri­dique, Les édi­tions du Cerf, février 2017, 305 p. — 24,00 €.

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4 Responses to Jacques Villemain, Vendée, 1793–1794. Crime de guerre ? Crime contre l’humanité ? Génocide ? Une étude juridique

  1. chapolisa

    Bon­jour,

    lorsque je lis une affir­ma­tion telle que “Désor­mais, plus aucun doute n’est per­mis” affir­mée à par­tir de la lec­ture d’un tra­vail de seconde main (un diplo­mate pré­senté comme un juriste et qui plaque quelques concepts juri­diques sur une his­toire mal assi­mi­lée me semble à coup sûr remar­quable de ce point de vue), je sais à quel type de “cri­tique” j’ai à faire. A savoir ou bien un incom­pé­tent, un men­teur ou un idéo­logue. Je met une pièce sur le troi­sième. Mon­sieur Le Moal, s’il sou­haite infor­mer et éta­blir la situa­tion scien­ti­fique d’un débat devrait au moins s’informer des der­nières publi­ca­tions et pré­sen­ter un avis moins tran­ché. Par­ti­cu­liè­re­ment après qu’il ai lui-même cri­ti­qué le livre de Mme Anne Rolland-Boulestreau (http://www.lelitteraire.com/?p=16199). En effet, même si M. Le Moal reste confondu que celle qui a étu­dié de 1ère main ne recon­naisse pas l’existence d’un crime contre l’humanité (sans même par­ler de géno­cide), M. Le Moal ne peut plus faire comme si il igno­rait qu’en 2015 un livre sérieux d’une his­to­rienne sérieuse (ainsi que M. Le Moal le recon­naît) posait un avis radi­ca­le­ment opposé à celui d’un auteur de seconde main. Mais Mme Rolland-Boulestreau, dés le début de son livre rejette toutes les belles expli­ca­tions téléo­lo­giques aux­quelles se rac­crochent avec déses­poir les idéo­logues pour qui l’histoire doit être la démons­tra­tion de leurs croyances. Suivre ces recom­man­da­tions de pru­dence, évi­te­rait l’aveuglement qui les conduit à pré­fé­rer croire contre toute évi­dence à un débat tran­ché alors même qu’ils ont connais­sance du fait que ce n’est pas le cas. A titre per­son­nel, je crois qu’il y a eu en Ven­dée un crime contre l’humanité et qu’à l’évidence il ne s’agit pas d’un géno­cide. Mais c’est une simple croyance, basée sur quelques lec­tures (et d’ailleurs moi aussi je suis “juriste” puisque cela semble don­ner une cré­di­bi­lité afin d’employer un terme pour­tant plus poli­tique que juri­dique) et je doute fort que de mon vivant une étude défi­ni­tive vienne tran­cher le débat (même si je vois bien que dans la com­mu­nauté des his­to­riens de la Révo­lu­tion la thèse du géno­cide est à l’évidence peu défendue).

    • Franck Gralas

      Merci Mon­sieur Le Moal. Votre résumé tra­duit excel­lem­ment l’approche et le contenu du livre.

      Par contre, pour être cré­dible, le com­men­taire néga­tion­niste de Cha­po­lisa devrait être basé sur un argu­men­taire qui met en paral­lèle les faits his­to­riques et la juris­pru­dence en la matière (Cf. Rwanda…). Rien, Le vide, son argu­men­taire est vide, car Cha­po­lisa ne connait sans doute pas les faits. Seule une volonté idéo­lo­gique pousse ce mon­sieur à essayer de contre­dire Mon­sieur Villemain.

      Je vous conseille de lire le livre de Jacques Vil­le­main pour faire votre propre idée.

  2. Massimiliano

    C’est le même que le Piemonte/nouveau état ita­lien a fait contre la popu­la­tion du Royaume de Deux Sici­lie. Aussi en Ita­lie c’est argu­ment est tabu. La dif­fé­rence entre le cas du Sud de l’Italie et la Ven­dée sont les pro­por­tions (majeures en Ita­lie) sans consi­dé­rer la poli­tique d’émigration for­cée et la créa­tion d’un sys­tème social, cultu­rel et éco­no­mique de type colo­nial qui en France actuel­le­ment n’existe pas dans son propre ter­ri­toire, de l’état contre une par­tie de sa popu­la­tion ( c’est le cas du Sur de l’Italie).

  3. Bernard Chupin

    Bon­jour,
    La tour­nure que prend ce débat depuis que les révé­la­tions sur le géno­cide ven­déen ont pris une nou­velle dimen­sion, para­doxa­le­ment grâce aux recherches publiées lors du bicen­te­naire de la révo­lu­tion fran­çaise, fait pen­ser aux batailles contem­po­raines rela­tives au géno­cide des Tutsi du Rwanda. Rien n’est neuf dans les petites pas­sions plus ou moins hai­neuses des pro­ta­go­nistes. Ici, on peut lire un cor­res­pon­dant ano­nyme qui se per­met de cri­ti­quer un cher­cheur parce qu’il est à la fois diplo­mate et juriste. Alors que lui cache son iden­tité, qui pour­rait (ou non) pour­tant nous éclair­cir sur sa légi­ti­mité à por­ter des juge­ments péremp­toires sur cette par­tie de l’histoire et sur l’auteur de cet ouvrage de 678 pages dûment enri­chies de pré­ci­sions dif­fi­ciles à contes­ter. Il a fallu deux siècles pour qu’enfin, mal­gré l’ignoble décence intel­lec­tuelle des mili­tants du (des) terrorisme(s) révolutionnaire(s), ceux-ci soient mis — bien paci­fi­que­ment — en face des res­pon­sa­bi­li­tés que leur mémoire est bien obli­gée de col­por­ter, même en silence. Évi­dem­ment cela fait mal, ce qui explique la pau­vreté de leurs argu­ments et la richesse de leurs agi­ta­tions. B.C.

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