Richard Millet, Jours de Lenteur

Du “bio­gra­phisme”

A mesure qu’il se retire du monde, Richard Millet qu’on a voulu réduire au silence pour­suit néan­moins son œuvre, retrouve des forces en dépit de l’usure comme si l’écriture deve­nait un lan­gage de la fatigue capable de rele­ver le défi que l’auteur se fixe à lui-même. Avec Jours de Len­teur,  il fait retour à l’autobiographie mais de manière oblique et en tant que haute opé­ra­tion sans laquelle écrire est impos­sible. « C’est à Siom, nom d’emprunt pour la ville cor­ré­zienne de Viam qui l’a vu naître, que prennent place les nou­velles » du livre. En dépit des aveux pro­gram­més, l’auteur veille dis­crè­te­ment sur des secrets de la (dé)figuration ori­gi­naire. Mais il ne regrette rien et ne s’apitoie jamais sur lui-même. Son œuvre valut bien des sacri­fices pre­miers contre. Si bien qu’aux livres inter­dits par la mère ont fait place ceux que l’auteur a écrits (pour elle ?). Preuve que tout auteur sur­vit à ses auto­bio­gra­phies et au besoin les refait lorsque cela est aussi utile qu’agréable plu­tôt qu’inutile et désagréable.

L’écri­ture, à défaut d’être une fête, reste pour Millet un tra­vail de com­pen­sa­tion. Lequel per­met d’éclaircir le passé par le pré­sent comme si un pro­blème bien exposé et poli par la fic­tion du passé per­met­tait de ter­nir la détresse. Du moins n’est-il pas trop naïf à un auteur de l’espérer. Mais dès lors, et plu­tôt que de par­ler, à pro­pos du livre, de bio­gra­phie il fau­drait évo­quer plu­tôt un dis­cours « sur » la bio­gra­phie. Il en devient le coupe-faim, inac­ces­sible par une autre voie. Chaque épi­sode évo­qué est traité para­doxa­le­ment comme une non expé­rience ou au moins une non pré­sence à soi. Manière en fait de ren­ver­ser le cours du « bio­gra­phisme » en cou­rant mineur par un exer­cice de « len­teur » qui en éli­mine l’énigme pre­mier et les erreurs.
Par­ler la bio­gra­phie revient à l’inscrire dans une mélo­die de la langue plus que de la subor­don­ner au passé. C’est aussi l’inscrire dans le rap­port que l’écriture entre­tient avec le corps et la sexua­lité au moment où, sor­tant de la période de l’adolescence pour atteindre les bas fonds de l’âge adulte, l’œuvre comme la vie sup­posent une révo­lu­tion : bref, le retour est le moyen d’aller de l’avant avec ce que cela sup­pose de bra­vache. Millet le sait en tirant des traits sur ses gouffres.

jean-paul gavard-perret

Richard Millet,  Jours de Len­teur, Edi­tions Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2016.

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