Lambert Schlechter, Inévitables bifurcations (Le murmure du monde, tome 4)

Cime­tière sous la lune

Après Le mur­mure du monde, La trame des jours,  Le Fra­cas des nuages,  Inévi­tables bifur­ca­tions  repré­sente le 4ème temps du cycle qui a pour titre géné­rique celui du pre­mier livre. Au nom de Dieu (« Dada » et « grain de folie » du poète), le monde est listé par frag­ments en ses mer­veilles, ses hor­reurs. Néan­moins, le Verbe n’est pas for­cé­ment sacré : il s’égraine le long de ces car­nets pour éco­per l’existence sans se pri­ver jamais d’ivresses mali­cieuses tout en maniant la trique si néces­saire.
Tout cela avance avec fré­né­sie mati­née d’une culture que l’auteur se garde bien d’étaler. Il pré­fère: « mettre la brouette et la can­tate et la parole mor­telle du tou­bib et la mor­ta­lité de l’âme et le ciel pro­ven­çal sur la même page ». On se serait même contenté de moins : c’est dire si le plai­sir est intense. Une biblio­thèque tec­to­nique, tric­trac, éclec­tique et en tek nour­rit ces pages hybrides : l’auteur y est un Jonas dans le ventre de la femme. Comme la culture, celle-là garde une belle place où bat l’aine. Elle  sert par sa pré­sence à empi­ler des songes qui scient les men­songes comme l’infinie mélan­co­lie d’un Dieu absent.

Sa non-présence est d’ailleurs bien­ve­nue pour l’entité divine tant elle se sen­ti­rait de trop dans des inti­mi­tés char­nelles du jouis­seur. Prince pas for­cé­ment des nuées, il confond au besoin les émois intel­lec­tuels et ceux des sens dans sa « sex­tua­lité » d’un goût des plus déli­cieux car trans­gres­sifs. Manière de – et si l’on peut se per­mettre — niquer à la mort. Cela peut paraître cava­lier mais, dans un de ses textes pré­cé­dents, l’auteur la trai­tait avec des termes plus gros­siers afin de sug­gé­rer la manière de lui faire subir les der­niers outrages. Pour notre bien et pour son mal.
Il recule ici d’une case côté voca­bu­laire sans tou­te­fois se conten­ter d’épiler du Ronce-art. Les mots se font la belle, gobent des hip­po­po­tames, désar­çonnent les gar­çonnes et ne se remâchent pas lorsque le fac­teur d’orgues sonne tou­jours deux fois. Tout s’enflamme et sort des marbres où la poé­sie trop sou­vent s’allonge dans des cime­tières. Mais dans celui (très par­ti­cu­lier) de Schlech­ter, il n’y a pas que les défunts à se rai­dir. Les amou­reux s’y empourprent et “s’empamprent”.

jean-paul gavard-perret

Lam­bert Schlech­ter, Inévi­tables bifur­ca­tions (Le mur­mure du monde, tome 4), Edi­tions Les doigts dans la prose, 2016.

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