Tout ce qui se dérobe au regard, Caroline François-Rubino s’en empare : le sortant du neutre il devient le signe d’un suspens, d’une apostrophe : couleurs et formes ne se contentent pas de rappeler son fantôme ou son ersatz. Sous décroissant de lune l’apostrophe devient peinture. Reste un état traduit par des ouvertures. Chaque image impose une faim de voir qui ne pourra être assouvie. C’est pourquoi le travail de l’artiste perdure. Là où le réel semble disparaître le sens s’envole en pulsion d’énergie. L’absence devient ce que la présence, étrange, accomplit.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’idée de boire un grand bol de thé !
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils se réalisent toujours lorsque je dessine et que je peins, je n’ai pas cessé de peindre et de dessiner depuis mon enfance, sans doute pour continuer à rêver…
A quoi avez-vous renoncé ?
À la perfection.
D’où venez-vous ?
Du pays du Ventoux et du Mistral, de la lumière et des couleurs de Cézanne, du ciel « cassé-bleu »… Mais aussi du pays des dunes et du « Paysage aux trois arbres », de « La vue de Delft », des canaux et des moulins, des ciels bas et gris de Payne…
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Peinture, musique, littérature et amour de la Nature, grâce à mes parents et surtout grâce à leurs mots magiques : « Regarde… », « Tu vois là-bas… », « Écoute… », « C’est très beau ! »
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Aller marcher dans la campagne, voir le ciel, les arbres, les montagnes… (quotidien). Contempler la mer, les vagues qui déferlent sans fin et l’horizon … (quand c’est possible). Voir un coucher de soleil (le plus souvent possible).
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Certains le savent peut-être… Ce n’est pas ma préoccupation, j’essaye d’avancer, c’est tout.
Comment définiriez-vous votre travail à quatre mains avec l’écriture poétique ?
Une aventure sans cesse nouvelle qui ouvre vers un espace où mots et traces vont résonner ensemble. Un livre d’artiste naît comme la preuve d’une véritable alchimie. Là où la parole et l’image ont fusionné sur le papier apparaît la promesse d’une longévité où rien ne reste figé, où rien n’est terminé, perpétuellement fragile.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Un paysage de neige de Brueghel l’Ancien reproduit dans un tout petit livre de peinture où l’on pouvait déplier les images.
Et votre première lecture ?
Tess d’Urberville de Thomas Hardy dans un livre de poche que j’ai toujours. Les descriptions de paysages dans cet ouvrage me sont toujours restées en mémoire.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Musique classique et jazz le plus souvent. Les Nocturnes de Chopin : par Claudio Arrau de préférence. Oscar Peterson et Chet Baker sans modération… Inconditionnelle de Léonard Cohen !
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Ce sont deux livres que m’avait conseillés mon père qui m’a transmis son goût pour l’art oriental : Shitao : Les propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère , Sei Shônagon : Notes de chevet
Quel film vous fait pleurer ?
L’Éternité et Un Jour de Theo Angelópoulos
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Celle qui espère toujours…
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À personne, j’ai toujours pensé qu’il fallait oser aller vers les autres…
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Venise ? Valparaiso ? Vancouver aussi, tiens, des villes qui commencent par « V ».
Un lieu, ce serait un arrière-pays, loin, très loin là-bas, comme dans les peintures de Patinir…
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Turner, que je place au plus haut dans mon Panthéon des peintres, Constable, Monet et Berthe Morisot, dont je me sens vraiment proche sur le plan pictural, mais tant d’autres qui m’intéressent ou me fascinent aussi selon mes recherches… Millet, Corot, Courbet et aussi des peintres moins connus comme Ravier ou Dahl, le peintre norvégien. Degas et surtout ses monotypes de paysages, Vuillard, Bonnard… Hiroshige bien sûr…
Plus contemporain, Cy Twombly dont j’ai eu la révélation lors de l’exposition du Centre Georges Pompidou en 1988, dont j’ai pu voir d’autres expositions et notamment la dernière « Le temps retrouvé » en Avignon en 2011.
Un photographe, ce serait André Kertész. Un sculpteur, ce serait Maillol. Mais tant d’autres aussi…
Yves Bonnefoy, pour les écrivains et poètes, pour n’en citer qu’un. J’ai eu la grande chance de suivre ses cours à Aix-en-Provence et je n’ai cessé de le lire depuis, il m’a toujours inspirée. Bien moins contemporains mais dont je me sens toujours proche en les relisant, les présocratiques et Lucrèce, très beaux souvenirs de mes cours de latin avec Yves Battistini comme professeur.
Sinon je me sens proche des artistes qui ne jouent pas à être artistes, de ceux qui sont en quête perpétuelle, de ceux qui doutent toujours, de ceux qui n’ont pas trouvé ; des écrivains qui me permettent de rêver, d’imaginer, donc de créer des images ; des poètes qui aiment mon travail et m’aident à continuer à chercher…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un bouquet de violettes, comme celui peint par Manet, bien serré, mais on n’en trouve plus, donc un bouquet de jonquilles. Ce sont les fleurs qui poussaient en farandole autour des immenses platanes de ma maison d’enfance.
Du papier, des carnets de dessin, un bâton d’encre japonais, un nouveau pinceau…
Ou juste une carte postale de Turner !
Que défendez-vous ?
Le plus de culture possible pour le plus de liberté possible.
La gratuité des musées, la gratuité des transports dans les villes.
De l’espace et de la verdure pour chacun.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je suis plus inspirée par les paroles de la célèbre chanson d’un autre Jacques…
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
J’aime tous les films de Woody Allen mais quel est donc déjà celui que je préfère ?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Quel est votre arbre préféré ? Je n’aurais pas su vous répondre car je les aime tous !
Alors une dernière : Quelle est votre couleur préférée ? Bleu.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 20 septembre 2016.