La poésie reste désespérément du côté de l’apprentissage et du devoir, voire de la culpabilité du “pas français” que les maîtres mettaient dans la marge des apprentis frondeurs de langage. Mais la poésie est rarement du côté du « fini ». Elle mérite de l’audace, de l’insolence, de la transgression, du ratage et un soupçon d’indignité par la parole.
Aux Planches de Froger capables de créer des tables ou des cercueils (POL, 2016, http://www.lelitteraire.com/?p=23335 ) fait écho celle d’Emaz. Les deux poètes sont maîtres en matériaux élémentaires choisis pour leur dualité interne et leur complexité que les métaphysiciens du langage ignorent et dont les activités spiritualisantes sont parfois infantilisantes. A leur opposé, Planche se veut une suite de notes écrites les jours « sans ». D’où leur intérêt. La poésie n’est jamais aussi pertinente dans la « creux-ation », que dans l’érection. D’autant qu’Emaz, au gueuloir, préfère les zones de sous-tension où la vie fait ce qu’elle peut pour être. Ce qui, a n’en pas douter, est quelque peu sécurisant.
Il faut en effet à l’écriture un certain mutisme. Emaz nous l’a appris jusque dans sa « caisse claire » aux rumeurs assourdies. L’âge venant, le poète apprend à vieillir et son œuvre fait de même — mais comme un bon vin. Les esprits chagrins diront qu’Emaz a toujours été vieux : mais c’est ce qui fait son charme beckettien. Au miracle des aventures, il préfère le rouler boulant des circonstances quotidiennes.
Le texte se fait plus codicille (avec ses références) qu’évangile selon Antoine. Et c’est pourquoi le texte sent la fleur des champs (fût-elle fanée) que le formol formalisme et fort barbant (d’un Jaccottet par exemple). Poète de la feinte mollesse, Emaz reste celui dont l’humour est le vecteur redresseur (tant que faire se peut) de la désillusion.
En ce sens, l’auteur reste moins le « suicidé de la société » que son compagnon d’ « arrière-garde qui sonne l’olifant ». Emaz fait ce qu’il peut (voire bien plus) : d’où l’intérêt de son œuvre. Elle reste garante du peu qu’on est. Et pendant qu’il est encore temps.
D’où sa reprise en biais de Shakespeare : « Beaucoup de vie pour rien. C’est l’entassement de ces riens qui finit par faire une existence ». Le bruit de cet entassement crée une forme de confiance lucide à l’existence. On se serait satisfait de moins.
jean-paul gavard-perret
Antoine Emaz, Planche, Editions Rehauts, 2016, 129p. — 16, 00 €.
Sublime , forcément sublime l’humilité du poète frondeur . Sagacité de JPGP . Perso , à genoux et tête découverte , bonheur de lire Antoine Emaz et la géniale analyse de sa posture créatrice .