Antoine Emaz, Planche

Pour suivre

La poé­sie reste déses­pé­ré­ment du côté de l’apprentissage et du devoir, voire de la culpa­bi­lité du “pas fran­çais” que les maîtres met­taient dans la marge des appren­tis fron­deurs de lan­gage. Mais la poé­sie est rare­ment du côté du « fini ». Elle mérite de  l’audace, de l’insolence, de la trans­gres­sion, du ratage et un soup­çon d’indignité par la parole.
Aux  Planches de Fro­ger capables de créer des tables ou des cer­cueils (POL, 2016, http://www.lelitteraire.com/?p=23335 ) fait écho celle d’Emaz. Les deux poètes sont maîtres en maté­riaux élé­men­taires choi­sis pour leur dua­lité interne et leur com­plexité que les méta­phy­si­ciens du lan­gage ignorent et dont les acti­vi­tés spi­ri­tua­li­santes sont par­fois infan­ti­li­santes. A leur opposé, Planche se veut une suite de notes écrites les jours « sans ». D’où leur inté­rêt. La poé­sie n’est jamais aussi per­ti­nente dans la « creux-ation », que dans l’érection. D’autant qu’Emaz, au gueu­loir, pré­fère les zones de sous-tension où la vie fait ce qu’elle peut pour être. Ce qui, a n’en pas dou­ter, est quelque peu sécurisant.

Il faut en effet à l’écriture un cer­tain mutisme. Emaz nous l’a appris jusque dans sa « caisse claire » aux rumeurs assour­dies. L’âge venant, le poète apprend à vieillir et son œuvre fait de même — mais comme un bon vin. Les esprits cha­grins diront qu’Emaz a tou­jours été vieux : mais c’est ce qui fait son charme becket­tien. Au miracle des aven­tures, il pré­fère le rou­ler bou­lant des cir­cons­tances quo­ti­diennes.
Le texte se fait plus codi­cille (avec ses réfé­rences) qu’évangile selon Antoine. Et c’est pour­quoi le texte sent la fleur des champs (fût-elle fanée) que le for­mol for­ma­lisme et fort bar­bant (d’un Jac­cot­tet par exemple). Poète de la feinte mol­lesse, Emaz reste celui dont l’humour est le vec­teur redres­seur (tant que faire se peut) de la désillusion.

En ce sens, l’auteur reste moins le « sui­cidé de la société » que son com­pa­gnon d’ « arrière-garde qui sonne l’olifant ». Emaz fait ce qu’il peut (voire bien plus) : d’où l’intérêt de son œuvre. Elle reste garante du peu qu’on est. Et pen­dant qu’il est encore temps.
D’où sa reprise en biais de Sha­kes­peare : « Beau­coup de vie pour rien. C’est l’entassement de ces riens qui finit par faire une exis­tence ». Le bruit de cet entas­se­ment crée une forme de confiance lucide à l’existence. On se serait satis­fait de moins.

jean-paul gavard-perret

Antoine Emaz, Planche, Edi­tions Rehauts, 2016, 129p. — 16, 00 €.

1 Comment

Filed under Poésie

One Response to Antoine Emaz, Planche

  1. Villeneuve

    Sublime , for­cé­ment sublime l’humilité du poète fron­deur . Saga­cité de JPGP . Perso , à genoux et tête décou­verte , bon­heur de lire Antoine Emaz et la géniale ana­lyse de sa pos­ture créatrice .

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