Cornelia Petrescu, Le Sagittaire

Exil et renaissance

Corne­lia Petrescu, quoique d’origine rou­maine (Buco­vine), est une écri­vaine fran­çaise à part entière. La guerre et l’installation du com­mu­nisme a trou­blé son âme d’enfant. Elle voit la Rou­ma­nie pros­père tom­ber en ruine sous le joug de Ceau­sescu et de ses idées déli­rantes. Bien­tôt, il ne reste que ce qu’elle nomme les « trois F » : La faim, le froid et la peur (« frica » en rou­main). Comme une grande par­tie des intel­lec­tuels rou­mains, elle est vouée à l’exil.
Arri­vée en France avec sa famille en 1986, elle trouve dans l’écriture une libé­ra­tion et un moyen de res­ter debout. A côté de témoi­gnages sur sa vie — où elle traite des thèmes tels que le har­cè­le­ment moral ou l’oppression de la dic­ta­ture -, elle déve­loppe un monde ima­gi­naire, voire fan­tas­tique en une alchi­mie sai­sis­sante. Preuve qu’elle pos­sède une véri­table faculté créa­trice pour remettre en ques­tion les idées, les valeurs, les sys­tèmes. Cor­ne­lia Petrescu est donc pas­sée de sa propre culture aux canons sty­lis­tiques de la langue fran­çaise pour don­ner libre cours à sa pen­sée et à ses émotions.

De cette dif­fi­culté, elle fait une force puisqu’elle trouve dans sa langue d’adoption le moyen d’une méta­mor­phose plus que d’un simple trans­fert. Comme le prouve son Sagit­taire, l’écriture devient l’expression d’un monde inté­rieur mais aussi une forme d’illimitation et non pas de dépay­se­ment d’un monde ori­gi­naire. Le lan­gage forain repré­sente un pas au-delà par rap­port à ce que l’œuvre serait res­tée dans sa langue mater­nelle. Ce trans­fert est donc impor­tant. Il per­met la rup­ture d’un cer­clage pour une for­mi­dable brèche.
L’expression fidèle du moi y trouve une renais­sance et elle ins­ti­tue un dia­logue avec les autres qui reste pour l’écrivaine une ouver­ture plus grande à lui-même. L’exil dou­lou­reux a donc pour corol­laire une trans­fu­sion capi­tale d’une langue à l’autre. Elle déblaie un ter­rain pour l’expression d’un au-delà de soi, Elle per­met de scru­ter les silences qui, sans ce trans­fert, demeu­re­raient dans le silence.

La créa­trice a donc trouvé un lan­gage qui sai­sit ce que, jusque là, elle avait éprouvé sans oser l’inscrire. Le fran­çais n’est pas pour elle le résidu de la langue mater­nelle. Elle y découvre une puis­sance de feu et l’ouverture de l’imaginaire. Ou, si l’on pré­fère, à la fois un tra­jet et séjour.

jean-paul gavard-perret

Cor­ne­lia Petrescu, Le Sagit­taire, gra­vures de Marc Pes­sin, Edi­tions Le Verbe et l’Empreinte, Saint Laurent du Pont, 2016 — 90,00 €.

1 Comment

Filed under Poésie

One Response to Cornelia Petrescu, Le Sagittaire

  1. villeneuve

    Les gra­vures de Marc Pes­sin ont offert l’exceptionnelle empreinte à la trans­mu­ta­tion du verbe inté­rieur de Cor­ne­lia dont JPGP sai­sit toutes les nuances .

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