Jerome Rothenberg, Journal seneca & Secouer la citrouille

Né à Brook­lyn d’une famille juive qui avait émi­gré dix ans plus tôt de Pologne, Jerome Rothen­berg est une des figures majeures de la poé­sie amé­ri­caine. Il a créé la syn­thèse entre les icones du moder­nisme amé­ri­cain (Pound, Williams, G. Stein), les avant-gardes euro­péennes (dada, futu­risme, sur­réa­lisme) et la relec­ture de la poé­sie des ori­gines (notam­ment rituelle indienne) loin d’une atti­tude pas­sive.
Il est l’auteur d’une quin­zaine de recueils impor­tants dont  Poems for the Game of Silence, Vienna Blood, The Lorca Varia­tions, See­dings & other poems, Sha­king the Pump­kin (“Secouer la Citrouille”) et Seneca jour­nal qui doit être relié à son antho­lo­gie Les Tech­ni­ciens de Sacré (Corti en 2008) est selon l’auteur son livre «le plus eth­no­poé­tique ». Il a été écrit après un séjour de deux ans dans la réserve indienne Seneca à l’Ouest de l’État de New York.

Jerome Rothen­berg y était parti à la recherche de lui-même mais sou­dain une trans­for­ma­tion a surgi : « Je suis devenu cas­tor. Richard Johnny John a été mon père. La céré­mo­nie, qui s’est dérou­lée dans la mai­son longue, a été très courte. Ils ont dit quelques mots en seneca. (…) Ma femme et mon fils sont deve­nus grands hérons. Elle a été nom­mée Celle Qui Voyage, il a été nommé Le Par­leur. (…) Je me suis inté­ressé aux cas­tors quatre ans plus tard, quand nous sommes allés vivre à Sala­manca ». L’auteur y a trouvé le « loca­lisme » qui insère l’Histoire dans un lieu, son poème en est devenu l’épopée. Et l’auteur d’ajouter : « Quand je mour­rai, mon nom retour­nera là d’où il est venu. Un Seneca vien­dra le chercher. »

Chez Rothen­berg, le corps est tout sauf irréel mais on ne le recon­naît pas. A cela, une rai­son majeure : la poé­sie du corps est rare. La plu­part des poètes tentent de rame­ner la viande à du men­tal et faute d’en pou­voir plus d’autres retombent vers de l’explicatif. Le poète amé­ri­cain, à l’inverse, se frotte donc à l’incontenable qui nous sert de réser­voir. Et pas seule­ment de pul­sions.
Loin des construc­tions obses­sion­nelles, le poète s’applique à le décons­truire et à le décom­po­ser, non pour offrir nerfs et abat­tis, mais pour cher­cher à mon­trer par les mots et le rythme pri­mi­tif com­ment il s’ouvre et se ferme face à l’Histoire et com­ment avec elle (et la nar­ra­tion qui la raconte), cela « suit son cours » (Beckett). Loin des énon­cés ponc­tuels, Seneca comme La Citrouille res­tent de longs réci­ta­tifs où la (fausse) naï­veté devient la néces­saire arro­gance.

jean-paul gavard-perret

Jerome Rothen­berg,

- Jour­nal seneca , Série amé­ri­caine (tra­duit de l’anglais par Didier Per­merle), Edi­tions José Corti, Paris, 2015.
-  Secouer la citrouille  (tra­duit par Chris­tophe Lamiot Enos), Les Presses Uni­ver­si­taires de Rouen et du Havre (PURH), 2015.

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