Semences est le dernier volet d’un triptyque climatologique entamé avec Aqua TM (L’Atalante, 2006), poursuivi avec Exodes (L’Atalante, 2012). Dans le premier opus, l’auteur s’attachait à relater la raréfaction de l’eau et les conséquences prévisibles qui en découleraient. Exodes expose sans fard le réchauffement climatique à travers six parcours qui jettent les individus sur les routes.
Semences débute au nord du monde, dans un Groenland en proie à la chaleur, envahi par des moucherons et des moustiques. Sur le sol ne poussent que des plantes toxiques. L’eau est polluée par la décomposition du permafrost. Natsume et Hiroko, deux Japonais, sont venus il y a quinze ans vivre chez les Inuits. Hiroko, piquée par des moustiques, se meurt car personnes ne sait soigner les maladies tropicales. La chamane fait ce qu’elle peut, mais les plantes utilisées par ses ancêtres, pour les décoctions, ont disparu depuis longtemps. Natsume décide de partir à la recherche d’un ultime paradis.
Denn, parce qu’il a la peau sombre, est le seul à oser s’aventurer hors des grottes pendant la journée tant la chaleur est accablante. Il fait partie d’un groupe de survivants qui vivent en symbiose, par le biais du Gardien, avec les fourmites, des insectes qui autorisent une part de prélèvements pour la nourriture des humains. Nao est la jeune fille destinée à remplacer son père dans les fonctions du Gardien.
C’est par hasard qu’ils découvrent un étranger en possession d’objets tabous, des objets des Âges Sombres. Celui-ci, déshydraté, est très mal en point. Bien qu’ils ne puissent communiquer, Denn tente de le soigner. En remerciement, l’étranger donne au couple un vieux foulard décoré d’un paysage. Le garçon pense qu’il s’agit de l’endroit d’où vient l’homme, un lieu qui semble paradisiaque. Denn décide de partir et persuade Nao de le suivre…
Dans ce nouveau volet de sa trilogie, l’auteur déporte son action dans trois siècles, laissant au réchauffement le temps de faire son œuvre sur la planète. Pour construire son intrigue, Jean-Marc Ligny s’appuie sur des simulations, des projections scientifiques, en particulier sur le travail que mène Valérie Masson-Delmotte, paléo-climatologue, et ses collègues. Il pose un cadre apocalyptique et imagine des modes d’adaptation possibles bien différents selon des groupes de survivants, ceux-ci s’appuyant sur des opportunités locales. Il prend en compte la régression de la société, un retour vers un âge et un mode de vie préhistoriques, avec, toutefois, la survivance, dans les souvenirs, de la civilisation antérieure et d’objets dont l’usage reste ignoré. N’ayant plus de télévision pour séparer les gens, c’est le retour des veillées avec des récits de légendes du temps de l’Âge d’Or, du temps des Âges sombres.
L’évolution des personnages est intéressante. Au fur et à mesure des rencontres, de la découverte d’autres modes d’adaptation aux conditions nouvelles, moins précaires, les besoins évoluent. Le besoins fondamentaux liés à une survie difficile s’ouvrent vers une autre dimension, vers un autre niveau de la pyramide de Maslow, vers des émotions, des sentiments qui ne trouvent pas leur place dans l’urgence de se nourrir, de se protéger, dans la précarité, dans l’absence de futur.
Le romancier replace une divinité puisque l’Homme est incapable de vivre sans cette chimère source de tous les excès : “Et les dévots aussi : au nom de Mère-Nature, ils ont tout cassé, tout brûlé, tout détruit, au prétexte que Mère-Nature ne tolérait pas que l’homme fabrique quoi que ce soit, se hisse à un niveau plus élevé que le plus pouilleux des chiens sauvages.” Il invente les fourmites, des insectes mutants qui semblent être un croisement entre les fourmis et les termites.
Avec Semences, Jean-Marc Ligny offre un road-movie superbe de deux personnages, leurs rencontres, leurs découvertes, leurs aventures, un roman passionnant conçu avec une grande rigueur, effrayant pour les générations à venir.
serge perraud
Jean-Marc Ligny, Semences, L’Atalante, coll. “La Dentelle du cygne”, septembre 2015, 416 p. – 21,00 €.