Mathias Lair, Ainsi soit je

Sexci­sion

Dans L’Innommable, le héros de Beckett dit : “Je cherche ma mère, pour la tuer”. Mais Mathias Lair n’a pas eu à se don­ner cette peine puisque, d’une cer­taine manière, il n’est jamais né sinon pour sup­por­ter la dou­leur que les propres affres de la géni­trice lui firent endu­rer. Livré à l’errance, à la pros­tra­tion pre­mière et à un che­min du cal­vaire, le poète est par­venu à une frac­ture dont Inzeste (Gros Texte, 2010) est plus que la méta­phore agis­sante. Par­tagé sur toute la lon­gueur le texte accouche de la bête. La Chambre froide  (Lans­kine, 2014) l’achève. Preuve que la des­ti­née de l’auteur ne s’inscrit pas seule­ment sous la loi de celle qui tuait sa voix — tant entre affec­tion et infec­tion il y a par­fois bien peu. Il arrive en effet que les cris de la Jocaste résonnent mais que leurs échos s’apaisent pour que – enfin — l’amour soit le bon.
Avec Ainsi soit je, un pas de plus est fran­chi. Notons au pas­sage la neu­tra­lité du « soit » qui rem­place le « sois ». Un tel glis­se­ment dit tout. « L’éjaculation muette du ger­men » (Lair casse une fois de plus par le centre cha­cun de ses vers d’un blanc frac­tal) va néan­moins l’amble — du moins tente de le faire — à tra­vers la langue mater­nelle et en « cas­trant le sens de / son natif uté­rus ». L’auteur reste à la recherche de « lalangue » (on est sou­dain proche de Prigent) qui, pri­vée de père et repère, retrousse la mater­nante pour ten­ter de par­ler. Et au pire par « les trous de nez »…

Certes, par­fois, le poète se fait autant père prieur qu’imprécateur voci­fé­rant. Sa plainte « s’exe-quise » dans l’excision de la langue « qui n’en peut mais » tout en avan­çant en se fai­sant et se défai­sant. La marche for­cée de l’ « homon­cule » cher à Beckett suit donc son cours. Preuve qu’une éner­gie demeure afin de ten­ter, sinon de remon­ter à la source, du moins de recher­cher des frag­ments auto­nomes là où une forme de tur­ges­cence lit­té­raire fait un petit dans le dos de la langue de mater­nelle engeance.

jean-paul gavard-perret

Mathias Lair, Ainsi soit je, La rumeur libre édi­tions, Sainte Colombe sur Gand, 2015, 80 p. — 15,00 € .

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