Exquise satire de la vie littéraire
Pierre-Robert Leclercq, dont nous avons recensé ici plusieurs ouvrages biographiques, a fini par décider de narrer sa propre expérience d’écrivain, à travers la figure d’un quasi homonyme et les « voix » supplémentaires de l’équipe éditoriale, qui lui adressent des remontrances sous forme de notes en bas de page. Cette « sotie » qui se lit d’une traite séduit d’emblée par son aspect de satire de la vie littéraire, qu’il s’agisse de la période où l’auteur a publié ses premiers romans, ou de celle, bien plus récente, où il a été contraint de quitter Le Monde des livres (après y avoir collaboré pendant quarante ans environ, avec une honnêteté intellectuelle et un flair de découvreur de talents qui n’ont, hélas !, pas trouvé de successeur).
A ses débuts, “Robert“ est instruit sur ce qu’il faut faire par Paul Guimard et Benoîte Groult, soucieux de le voir réussir. Le résumé de leurs conseils est édifiant : “Se créer des relations en fréquentant quelques terrasses et bars parisiens faits pour cela ; pratiquer le lècheculisme à doses mesurées en prévoyant le moment favorable ; s’affilier à un parti politique, de préférence à gauche […] ; se montrer hardi dans ses convictions quand il n’y a pas de contradicteurs ; […] se tenir au courant des modes littéraires du jour, engouements passagers mais qu’il faut suivre pour faire montre qu’on est dans le vent […]“ (pp. 36–37). Nous ne priverons pas le lecteur du plaisir de découvrir les étapes de la carrière de “Robert“, mais notons ce que chacun aura deviné en lisant cette citation : Leclercq n’a pas adopté la méthode de ses protecteurs.
Avoir suivi une voie tout autre lui a valu des déboires, mais aussi des bonheurs authentiques, souvent issus des rencontres avec des personnages remarquables – Jouhandeau, Montherlant, Maritain, Michel Simon, Jean Vilar, Daniel Gélin, Michel Bouquet, Nina Simone… — qu’il a connus non pas de la manière dont on s’aborde dans un décor mondain, mais autrement, ce qui fait la saveur de son témoignage à leur sujet. Cette seconde ligne narrative, qui s’entrelace avec la satire, relève de l’exercice d’admiration, d’autant plus émouvant que le narrateur n’a jamais fini par perdre l’humilité issue de sa jeunesse d’instituteur ayant son brevet pour tout diplôme. Si bien que l’ensemble de son récit a un coloris unique dans la littérature récente : cela tient de la charge féroce quand il s’agit de dépeindre les mœurs et les puissants alors que, s’agissant des vrais talents, sa gamme offre les nuances les plus chaleureuses, parfois empreintes de compassion (pour ceux qui en sont venus à ne plus écrire, dissuadés par l’état des choses d’une littérature marchandisée).
On ne saurait que recommander ce livre aux écrivains débutants, auxquels il évitera beaucoup de mauvaises surprises, comme aux plus influents des auteurs confirmés, qui n’ont pas souvent l’occasion de se voir dans un miroir autre que flatteur.
agathe de lastyns
Pierre-Robert Leclercq, Robert Leclercq, écrivain. Sotie à trois voix, éd. Créer, septembre 2015, 154 p. – 15,00 €
Des articles de cette qualité la presse écrite n’en fait plus. Bravo et merci.
merci, cher monsieur, pour votre aimable commentaire.
la redaction du litteraire.com