Gaëtan Picon, Admirable tremblement du temps

Par le fil du temps

En 1970, dans la superbe col­lec­tion dont il fut le codi­rec­teur avec Albert Skira, “Les sen­tiers de la créa­tion”, Gaë­tan Picon publie (sous le n° 10) un texte essen­tiel : Admi­rable trem­ble­ment du temps. L’Atelier Contem­po­rain le réédite avec des essais qui le com­mentent et le com­plètent. Dans ce livre, Picon mon­trait que quelques uns des plus grands tableaux de l’histoire de la pein­ture étaient les fruits murs de la vieillesse des artistes et — ajou­tait le cri­tique — “nous en aimons le trem­ble­ment”. De telles œuvres sont riches en effet de tout un temps per­son­nel qui accorde à un temps d’une époque mais aussi à une période plus géné­rale une vision plus pro­fonde.
Dès lors, par delà la réflexion sur la pein­ture, Picon crée une média­tion intem­po­relle à l’image de celle que les œuvres rete­nues pro­posent. L’art et l’écriture mettent à jour des “nœuds, des apo­ries, des vel­léi­tés sans fin, des fata­li­tés sans recours” (Yves Bon­ne­foy) et per­mettent aux arts comme à la lit­té­ra­ture de se pour­suivre. Dans une lumi­neuse clarté, l’auteur montre com­ment le grand art, même s’il est ins­crit dans un temps, ouvre à une péren­nité qui ne souffre pas de “repen­tirs” et encore moins de regrets — même lorsque (ou parce que) cer­tains de ses tableaux deviennent des “poèmes inac­cou­tu­més” (Bau­de­laire), que ce soit les Christ d’Holbein ou de Grü­ne­wald, un noyé de Géri­cault, un homme perdu de Giacometti.

Et qu’importe si l’Histoire reste, comme l’écrit Picon, “le mau­vais rêve de l’art”. Celui-ci la trans­cende car, ajoute l’auteur, “le temps qui parle dans l’œuvre est plus fort et plus pro­fond que celui de l’événement”. La pein­ture arrache donc l’histoire à elle-même, elle en mul­ti­plie le moment en créant une pré­sence abso­lue — preuve que l’œuvre ne parle que dans “l’insomnie du temps”. Le texte de Picon reste donc majeur  : Sol­lers l’a com­pris dans sa relec­ture et son texte inédit de 2014. Comme il le dit, Picon fut de ceux qui n’ont cesse de creu­ser “l’amont inten­tion­nel qui pré­fi­gure les résul­tats”. Sans avoir recours aux argu­ties des sciences plus ou moins humaines, il donne là une leçon de luci­dité aussi claire que brillante osant son “goût” et malaxant la “glaise” afin de remon­ter aux racines des œuvres rete­nues pour sa démons­tra­tion quasi poétique.

jean-paul gavard-perret

Gaë­tan Picon, Admi­rable trem­ble­ment du temps,
suivi d’essai d’Yves Bin­ne­foy, Agnès Callu, Fran­cis Mar­mande, Phi­lippe Sol­lers, Ber­nard Vouilloux,
Edi­tions l’Atelier Contem­po­rain, Stras­bourg, 2015, 136 p. — 25,00 €.

 

 

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