Jonathan Abbou, Pose lente

Les com­posts de la mémoire

Jona­than Abbou joue sur l’opposition entre la réa­lité et sa fic­tion. Au regar­deur de recons­ti­tuer à tra­vers les émul­sions ce qu’il voit, de retrou­ver des har­mo­nies du soir au milieu de l’intimité dévoi­lée selon diverses dérives. Les égé­ries de l’artiste res­tent de belles étran­gères qui, dans la chambre noire, sont trans­for­mées. Les résilles de leurs bas deviennent les filets de leur insou­ciance, de leurs délices et de leur pré­ten­due « immo­ra­lité » dont l’artiste ne cesse d’attiser le feu. Qu’importe si la pho­to­gra­phie est une feinte, il s’agit de s’y lais­ser empor­ter.
Il existe dans Pose lente les relents d’un néo-classicisme à la fran­çaise. Ingres n’est pas loin avec son goût pour les tex­tures des étoffes, pour les courbes et les dra­pés réa­listes. « Les œuvres mai­tresses pour moi, son « la grande oda­lisque » ainsi que « le bain turc » écrit l’artiste. Mais il est allé plus loin. Plon­geant dans le baroque et ses irré­gu­la­ri­tés, il mal­mène la matière pho­to­gra­phique (néga­tif, tirage, etc.). Ayant appris la liberté à tra­vers l’œuvre de Dali, il sait néan­moins sor­tir de tout car­can la thé­ma­tique du nu.

Le réel res­semble à un rêve. Pen­dant long­temps,  l’artiste écrit qu’il a opéré « une syn­thèse entre des impres­sions rêvées et des sen­ti­ments vécus », il ajoute avoir été à cette époque « à la recherche de la naï­veté dans les formes et les cou­leurs, un peu à la façon de l’œuvre de Marc Cha­gall. Marc Cha­gall est cer­tai­ne­ment le peintre qui m’a le plus ému par son esprit enfan­tin ». Suit une « période urbaine » dans les squats d’artistes et des ren­contres avec celles et ceux qui tra­vaillent sur le féti­chisme et la magie attri­buée à cer­tains objets ou situa­tions. La sexua­lité devient au fil du temps de plus en plus réma­nente. Elle  s’organise au sein de rituels amou­reux. Abbou y capte des « anges tuté­laires », qui lui per­mettent de dis­sé­quer l’amour en péche­resses avi­sées.
Dans Pose Lente, comme l’écrit Sté­phane Levy-Kuentz, sur­git un “ harem noc­turne, oni­rique et chaste, flottent des corps dilet­tantes dont le milieu natu­rel semble être la pénombre des alcôves”. Chaque modèle s’abandonne aux poses que l’artiste impose et dans les­quels, par sa tech­nique choi­sie, le rôle de l’aléatoire est impor­tant et les réfé­rences à l’histoire de l’art constantes. « Je fabrique mes chi­mies pour avoir un grain fin sur le film. Je tire mes épreuves en res­pec­tant toute les den­si­tés. J’applique un virage sépia qui per­met de conser­ver l’image indé­fi­ni­ment dans le temps, sans jamais alté­rer un détail, et enfin, je colo­rise mes tirages à l’aide d’encre aqua­relle et de coton » écrit l’artiste. Il trouve alors ce qui fait la poé­sie de son œuvre. L’horizon s’y dérobe.
Dans l’excavation du corps, des car­gai­sons sans cha­leur exsudent des cendres. Les sols tra­vaillent, tout se tient au point de flexion de la rup­ture. L’artiste pro­fite alors de béances pour s’immiscer dans les « des­sous » de l’être.

jean-paul gavard-perret

Jona­than Abbou, Pose lente, Texte de Sté­phan Lévy-Kuentz,  Chez Hig­gins, col­lec­tion Ero­tica, Mon­treuil, 2015, 200,00 €.

 

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Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Erotisme

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