Arthur Yasmine, Les clameurs de la ronde

Gouffres et éclairs

Remon­tant aux vieux déserts, aux îlots per­dus et aux jar­dins enfouis que par­court la poé­sie depuis ses ori­gines Arthur Yas­mine cultive une œuvre au noir. Son lyrisme se moque des stan­dards du temps. Mor­phée est sa muse, « la trem­blante, la convul­sée… / Tant embras­sée, l’épileptique… com­bien t’ont lais­sée morte ?…/ Com­bien t’ont enter­rée ?… ». Comme Mal­larmé et son Igi­tur allant fouiller dans le « tom­beau des siens », Yas­mine y des­cend pour la sau­ver et la faire renaître « sin­gu­lière et mar­gi­nale ».
Du cadavre de la poé­sie, l’auteur espère donc la Résur­rec­tion. Certes et c’est tant mieux, il a encore les épaules fra­giles mais il faut lui faire cré­dit d’une ambi­tion vivi­fiante. Il reprend celle qui était déjà « l’errante dans la nuit grecque » et connut la misère afin de lui faire retrou­ver — pour reve­nir encore à Mal­larmé - « L’azur, l’azur, l’azur ». L’auteur tente de l’arracher aux voiles livides et gri­sâtes pour faire sur­gir un mince soleil — mais soleil tout de même. Si les cultures peu à peu négligent le genre jusqu’à le rendre exsangue, Yas­mine y croit encore sans culti­ver l’hypocrisie des lâches à laquelle la vic­time répond « Vous m’avez trom­pée !… Vous m’avez tra­hie !… Vous m’avez cou­verte de boue !… ».

Le poète reven­dique une révolte afin que sa Déesse ne dis­pa­raisse en soli­tude, « comme der­rière un nuage fuli­gi­neux qui repous­se­rait le reste du monde ». Plu­tôt que de culti­ver le regret, il se bat, ose l’éclat à coup de rap­so­dies. S’il manque encore à cette entre­prise un lan­gage tota­le­ment affirmé pour arra­cher la poé­sie à la fange, aux ornières, existe déjà un bel envol animé de l’éclairage inté­rieur de l’être afin de trans­for­mer la poé­sie en un moment ini­tia­tique qui, au fil du temps, pour­rait créer une sorte d’autobiographie de tout le monde et du monde. Mais contrai­re­ment au roman­cier qui remonte le temps pour le recom­po­ser, le poète entame un tra­vail inverse. Sa recherche du temps perdu devient un moyen de décom­po­ser, de démon­ter le temps en un registre quasi mythique qui jouxte à la fois l’épiphanie et l’apocalypse. Le livre se veut le démenti de ce der­nier même si, le temps avan­çant, les aurores semblent sinon étran­gères du moins bien délé­tères au sein de la poé­sie du temps.
Il convient désor­mais à Yas­mine d’éviter cer­tains grouille­ments enflam­més afin que la quin­tes­sence de sa quête — au recou­vre­ment d’une re-naissance et ce, même si ses vieilles ombres traînent — trouve l’épaisseur de vie et la force capable de faire échap­per la poé­sie à la mort qui lui est don­née. Le tout pour faire pro­vi­sion de vie contre le dépit et afin d’extraire chaque lec­teur de ses doutes et de ses incer­ti­tudes même si c’est là le lot consub­stan­tiel à l’humain. Les cla­meurs de la ronde condensent déjà avec éner­gie et céré­mo­nial l’expérience de l’élémentarité de la vie là où la poé­sie n’est plus son sup­port mais sa sur­face de révé­la­tion voire de réparation.

jean-paul gavard-perret

Arthur Yas­mine, Les cla­meurs de la ronde, Car­net d’art, 2015, 9,00 €.

 

 

 

 

 

 

4 Comments

Filed under Poésie

4 Responses to Arthur Yasmine, Les clameurs de la ronde

  1. Nadine Cad

    Une cri­tique fabu­leuse, merci beaucoup!

  2. FlorentDesth

    Je ne suis pas trop poé­sie mais la cri­tique donne envie. J’aimrais me lais­ser ten­ter par ce jeune poète.

  3. Dela Grace

    L’une des plus belle cri­tique que je lu sur ce livre. Elle donne vrai­ment envie de le décourivr.

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