Gilda Piersanti, Médées

Quelques heures de la vie d’une femme qui suf­fi­ront, peut-être, à la pré­ci­pi­ter dans la folie meurtrière

Rome, de nos jours. Fran­cesca a tout pour être heu­reuse. Brillante avo­cate, elle mène une vie de famille tran­quille auprès de son mari Paolo, pro­fes­seur d’université, et de leurs deux jeunes fils. Cer­tains se seraient sen­tis com­blés par une telle réus­site. Mais pas Fran­cesca, pas elle, l’avocate la plus renom­mée de la ville en matière de divorce. Com­ment se fait-il alors qu’elle n’ait rien vu venir ? Qu’elle n’ait pas com­pris ce qui se pas­sait ? Elle qui passe ses jour­nées à fré­quen­ter des couples meur­tris et déchi­rés par la vie, la rou­tine, leur tra­vail… et qui ont fini par se défaire sans s’en rendre compte.

Ce jour-là, elle vient jus­te­ment de rem­por­ter une brillante vic­toire au tri­bu­nal : sa cliente, Clara Bonetti, a obtenu la garde de sa petite fille de 3 ans, Céci­lia, aux dépens de son ex-mari Danilo, mal­gré une fra­gi­lité men­tale cer­taine. Mais main­te­nant elle est gué­rie et va pou­voir éle­ver sa fille, grâce à Fran­cesca. Qui, ce soir, doit fêter avec les siens l’anniversaire de l’un de ses fils, Tiziano. Bref : une belle jour­née, sur­tout que, pour une fois, elle a pro­mis de ne pas ren­trer tard. Qui aurait alors cru que tout se fini­rait ainsi ? Après avoir reçu un appel de Clara, Fran­cesca décide étran­ge­ment de se rendre chez celle-ci, alors qu’elle ne tisse habi­tuel­le­ment aucun lien d’intimité avec ses clients. Mais, sup­pliée, elle cède et se dirige sans le savoir vers un des­tin qu’elle n’aurait jamais envisagé.

Victime d’un acci­dent de la route, elle s’engouffre dans un taxi dont le chauf­feur se révèle être un kid­nap­peur. Peu après, s’étant enfuit, elle le croise à l’hôpital, vic­time lui aussi d’un grave acci­dent. C’est donc tard qu’elle arrive enfin chez Clara, en même temps que Danilo. Là tout se pré­ci­pite. Telle Médée face à Jason, aveu­glée par la haine, la colère et le désir de ven­geance, Clara a tué la maî­tresse de son ex-mari et leur petite fille. Fou de rage et de déses­poir, il la poi­gnarde. Fran­cesca réa­lise alors qu’indirectement elle a favo­risé tout cela et qu’elle n’a pas su pro­té­ger la petite Céci­lia. Ren­trant chez elle au petit matin, dans un appar­te­ment calme et endormi, elle découvre un mot de Paolo sur le frigo : “Je te quitte, je pars vivre avec Nadia et les gar­çons”. Nadia, qui n’est autre que la bonne de la mai­son. Pour Fran­cesca, c’est inacceptable…

Habi­tuée aux romans poli­ciers, Gilda Pier­santi nous livre ici un roman au rythme effréné et très vif. Tout se déroule en une jour­née. Comme quoi la vie peut bas­cu­ler en un jour, une heure, une minute ou moins… Ainsi sur quelques pages seule­ment s’enchaînent les retour­ne­ments de situa­tion invrai­sem­blables qui confèrent un ton très par­ti­cu­lier à l’ouvrage. Un mélange qui nous rap­pelle à quel point la vie est courte et passe rapi­de­ment. Se basant sur la tra­gé­die de Médée, cette mère aban­don­née par son mari Jason, et qui pré­fère tuer ses deux fils pour ne lui lais­ser aucun héri­tier et le plon­ger dans la dou­leur la plus pro­fonde. C’est la femme, ven­ge­resse et bles­sée, qui prend alors le pas sur la mère. Grâce à ce mythe retrans­crit à notre époque, le lec­teur devient le témoin pri­vi­lé­gié de la détresse d’un être humain qui sombre peu à peu dans la folie. Fran­cesca, qui s’est fait mal­gré elle l’avocate du diable, va-t-elle, elle aussi, se perdre dans la folie meur­trière ? Se lais­ser enva­hir par la pas­sion, la haine, la ven­geance et fran­chir le fossé entre son métier, son rôle de mère et sa posi­tion de femme en emprun­tant la voie cri­mi­nelle ? Tel est le fil conduc­teur de cette his­toire, qui n’est pas sans rap­pe­ler cer­tains scé­na­rios de cinéma tels Plein Soleil ou plus récem­ment Chute libre, rela­tant la dérive sou­daine de jeunes gens vers la folie meur­trière. Nous nous croyons tous sains d’esprit, mais l’auteur nous montre ici à quel point la fron­tière est mince entre la folie et la nor­ma­lité. Une simple ligne à fran­chir irré­mé­dia­ble­ment ! Qui dit que vous ne serez pas le pro­chain à pas­ser de l’autre côté ?

vio­laine cherrier

   
 

Gilda Pier­santi, Médées, édi­tions Le Pas­sage, jan­vier 2006, 160 p. — 14,00 €.

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