Celui qui a mangé des dinosaures : entretien avec l’artiste « late bloomer » Marc Molk

Chaque oeuvre de Marc Molk (ci-contre, © Lison Nis­sim) pro­pose une dis­so­lu­tion par­tielle des réa­li­tés ou des réfé­rences soit par débor­de­ment ou « éva­po­ra­tion » : les deux  brouillent les appa­rences. Le liberté du désir (dis­cret) suit son cours au sein d’une remise en cause de la repré­sen­ta­tion, qu’elle soit chris­tique ou éro­tique. Au faste de la repré­sen­ta­tion fait place une capa­cité de vibra­tion, d’échos. Ils  touchent au silence sans fond de l’amenuisement des élé­ments du réel. Demeurent un  flot­te­ment et un inachè­ve­ment pro­gram­més en un bou­quet irra­tion­nel, un défaut dans la cui­rasse des appa­rences.  La pein­ture devient  une sous-conversation, le point d’impact du non-dit en effu­sion poé­tique, silence communiquant

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? Rien. Je vis la nuit. Le jour est déce­vant, on y est seul sans élé­gance. La nuit, c’est connu, tout est enve­loppé d’un genre de pres­tige, même les petites choses. Le chic noc­turne, facile et silen­cieux, me décrispe.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ? Je fai­sais sys­té­ma­ti­que­ment des cau­che­mars, dont ma mère me tirait en me giflant. Il paraît que je hur­lais assis dans mon lit les yeux fer­més. Je n’ai jamais rêvé pour de bon à quoi que ce soit, sinon à quelques ami­tiés sin­cères et plus tard à un grand amour. Je vous laisse ima­gi­ner com­bien j’ai pu être déçu.

A quoi avez-vous renoncé ? Excepté mes enfants, rien ne me tient plus à coeur pour de bon, mais j’ai cette dis­ci­pline d’une fraî­cheur tou­jours recon­duite, arti­fi­ciel­le­ment, qui me porte maintenant.

D’où venez-vous ? Je suis le des­cen­dant d’une lignée d’hommes pres­ti­gieux, invain­cus, lignée qui remonte aux grottes du Paléo­li­thique. Nous avons mangé des dino­saures, tué des Anglais par cen­taines et bien­tôt nous vogue­rons sous de nou­veaux soleils au-delà de la Voie lactée.

Qu’avez-vous reçu en dot ? Je suis têtu.

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ? Je n’ai jamais changé de vie. Celle-ci a tou­jours été la mienne. Il ne faut d’ailleurs jamais rien pla­quer. Se rendre suf­fi­sam­ment insup­por­table pour être quitté, suf­fi­sam­ment inutile pour être licen­cié, et toutes les parts inutiles d’une exis­tence tom­be­ront sur le sol comme par enchan­te­ment, à la manière d’une dés­qua­ma­tion naturelle.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ? Un grand verre de Coca-cola bien frais, un joint d’herbe orange, un film piraté sur Inter­net, la fini­tion manuelle d’une mas­seuse chi­noise, de véri­tables pro­fi­te­roles, le spec­tacle des méchants affai­rés à ten­ter de se plaire tout en se vomis­sant entre chaque sourire.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ? Pas grand chose. Mais rien ne me dis­tingue non plus de mon bou­cher ou d’une dan­seuse du Crazy. Il n’y a pas de dif­fé­rence entre nous autres les Hommes. Nous sommes tous des crabes roses sans cara­paces, très agi­tés et pas­sa­ble­ment mesquins.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous  inter­pela ? Dans mon sou­ve­nir, « La coquille » d’Odilon Redon, sur une carte pos­tale. J’avais huit ans. Mais c’est peut-être une merde de chien qui me sub­juga bébé sans que je puisse remon­ter aussi loin.

Et votre pre­mière lec­ture ? Après la pluie le beau temps , dans « La Col­lec­tion Rose », une bleuette, à quinze ans. J’ai su lire très tard. Je n’ai jamais été pré­coce, en rien. Quelle guigne ! Les Amé­ri­cains ont une expres­sion à pro­pos des gens comme moi, à laquelle je me rac­croche : « A late bloomer ».

Pour­quoi votre atti­rance pour “l’effacement” ? Je suis très bavard. Je parle et je ris très fort. Je m’en veux d’être en avant ainsi, mais il est trop tard dans la vraie vie, mon corps m’entraîne, mes habi­tudes décident à ma place de tout, et j’ai renoncé main­te­nant aux grandes méta­mor­phoses. J’essaie de me rat­tra­per dans mes tableaux, de rabo­ter quelque chose, de jouer sur la toile la carte de la réserve, sans y par­ve­nir. Tout ce que j’efface finit par être sou­li­gné autrement.

Quelles musiques écoutez-vous ? Je ne peux pas répondre ici à la ques­tion de la musique. Un jour j’écrirai tout un livre sur la musique. Trois noms de génies pio­chés à la volée pour vous être agréable : James Brown, Bar­bara, Couperin.

Quel est le livre que vous aimez relire ? Les Frag­ments d’un dis­cours amou­reux. C’est un livre tel­le­ment amu­sant. 

Quel film vous fait pleu­rer ? Je ne pleure pas. Quand j’ai des envies de chia­le­ries, je ren­verse quelque chose ou je tape une colère. Je laisse la lar­mi­chette aux hommes sen­sibles, tendres, aux petits gar­çons contem­po­rains. Le film qui me bou­le­verse, je l’arrête et je n’en parle à personne.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir, qui voyez-vous ? Phy­si­que­ment, un pur inconnu. J’habite un autre corps que le mien. Je crois que les gens s’imaginent que je suis quelqu’un de jovial. J’ai un phy­sique bon­homme. Dès qu’ils me connaissent un peu, ils s’aperçoivent de leur erreur. Cela me brouille avec beau­coup d’imbéciles.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ? Ce n’est pas un pro­blème d’audace, c’est une ques­tion de force. Il y a des recro­que­ville­ments impos­sibles à refré­ner. Une­telle vous fait trop peur avec ses grands yeux, ses longues jambes et sa déli­ca­tesse. Untel sera cer­tai­ne­ment le connard snob qu’il semble être à dis­tance et ne répon­dra pas. Il aurait fallu qu’ Une­telle m’autorise la veille à poser ma tête sur son ventre dans le taxi qui nous rac­com­pa­gnait, et à m’endormir, sans que je le lui demande, mais ces choses-là n’arrivent jamais. Il aurait fallu qu’Unetelle et Untel aient répondu pour que j’écrive quelque chose de sin­cère à Untel. Tout est usé. Qui ose écrire ? Le silence réfri­gère le sys­tème humain et les mon­da­ni­tés com­mu­ni­ca­tion­nelles rem­plissent ce vide. Pour­quoi commettrais-je un impair dans ces conditions ?

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ? Mon­té­li­mar. C’est la capi­tale du nougat.

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ? Je ne sais pas trop quoi vous répondre. Je ne me sens proche d’aucun artiste en par­ti­cu­lier. J’essaie de me tenir le plus loin pos­sible et à équi­dis­tance de tous les artistes que j’apprécie, à la manière d’une arai­gnée prudente.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ? Une petite culotte déjà por­tée par une femme élé­gante, joueuse et vulnérable.

Que défendez-vous ? Tout ce que défen­dait à son époque Cyrano de Ber­ge­rac. Un monde invi­sible, les sen­ti­ments tus, le prin­cipe des gestes gratuits.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”? La ques­tion de l’Amour-Cupidon m’a déjà fait perdre trop de temps dans la vie, pour un résul­tat plu­tôt maigre. Je me suis rabattu sur le souci de l’argent et le tra­vail pur. On peut me plaindre mais lorsque j’observe la vie de ceux qui me plaignent, j’éclate tou­jours de rire.

Que pensez-vous de la phrase de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?” Il fau­drait l’adapter pour la France :  “La réponse est non mais quelle était la question ?”

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ? Trop tard. Tant pis.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 5 mai 2015.

 

 

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