Pierre Bayard est écrivain, professeur de littérature et psychanalyste, ce qui fait beaucoup de choses dans un seul homme (qui le supporte dans son cas très bien). Après avoir publié il y a quelques temps l’excellent Et si les œuvres changeaient d’auteur ? , l’écrivain publie Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ? Et ce, au nom d’une injonction primale : « Toute ma vie aurait sans doute été différente si je n’étais pas, pendant mon adolescence, tombé amoureux de Geneviève Dixmer. » A savoir l’héroïne du Chevalier de Maison-Rouge, le premier feuilleton de cape et d’épée de la télévision française. Et Bayard d’ajouter : « Ceux qui n’ont pas vu ce feuilleton historique ne peuvent comprendre notre émotion, surtout celle des plus jeunes qui découvraient le petit écran, à en suivre les épisodes de semaine en semaine. Une émotion demeurée en moi intacte, et que je retrouve vivante quand je regarde à nouveau ces images, qui continuent à me bouleverser ».
Pour autant, son livre n’a rien de pieux et pour sauver l’héroïne du roman de Dumas et Maquet il ne voit qu’une solution : « entrer moi-même dans le livre et devenir l’un de ses personnages » afin que la fin ne soit plus inéluctable. Bref, il s’agit — théoriquement et humoristiquement — de sortir du traumatisme de la disparition. Mais il s’agit aussi de se confronter — via la récriture de l’histoire — à une série de problèmes éthiques sur la fin et les moyens, le choix de sa mère ou de sa patrie, de l’assistance à personnes en danger et de renvoyer à un autre livre de l’auteur : Aurais-je été résistant ou bourreau ? où le personnage se mettait à la place de son père, pour tenter de déceler quelle aurait été sa position pendant la guerre. Le passage dans l’œuvre de Dumas permet de reposer en conséquence la question morale et philosophique majeure que l’auteur résume par : «Qu’est-il juste de faire ?»
Bayard — en digne successeur du preux chevalier qui porta son nom — prend la place de Lindey. Il réussit à sauver son héroïne, au prix de sa vie, bien sûr : «J e ne suis évidemment pas entré dans ce livre pour en ressortir vivant » écrit-il. Mais testant (comme bien d’autres, Woody Allen compris) la porosité entre fiction et réalité, Bayard reste le genre de type retors qui empoigne systématiquement les choses à l’envers et qui cultive toujours un « Paradoxe » (pour preuve ses livres sont publiés dans une collection qui porte ce titre).
L’idée est donc de redécouvrir l’œuvre sous un angle inédit afin de produire des résonances philosophiques et esthétiques inattendues. Bayard propose ainsi de reprendre un livre qui ne vaut pas tripette (ou presque) pour théoriser savamment sur des croisements et autres phénomènes d’hybridation. Preuve que le roman est un terrain de jeu qui fera jubiler certains (j’en suis) ou couiner d’autres en essayant d’interpréter le principe de réalité philosophique à l’aune de la fiction littéraire. L’inverse étant tout aussi vrai.
jean-paul gavard-perret
Pierre Bayard, Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ?, Editions de Minuit, coll. Paradoxe, Paris, 2015 , 160 p. — 15,00 €.
pas vu le feuilleton, pas lu le livre, mais envie maintenant;
atteinte par la ‘porosité entre fiction et réalité’, je sais que la maitrise de cette porosité rend le terrain de jeu jubilatoire ! mon héros de feuilleton était Josh Randall… et tomber amoureuse à dix ans d’un héros de fiction avec lequel on a rendez-vous chaque semaine n’est pas anodin, cristallise ce que l’on est déjà; s’inventer, sciemment, une histoire vraie est plus jubilatoire que la réalité sans imagination, et surement plus proche de qui l’on est vraiment…
(borderline? oui, bon, mais je me soigne!)