L’écriture d’Annie Salager impose des sensations à rebours des vanités et de l’amour de soi. La poétesse met en échec et mat les postulats des poètes illustrateurs d’eux-mêmes, toutes dents dehors et scintillant dans leurs du cadavre en puissance. Afin de venir à bout des images, elle fait fondre la langue en l’entraînant non dans l’effacement mais en une course folle. Surgit ce qui tient plus de la danse litanique et cyclique que du chant. La poétesse ne se laisse ficeler par aucun scénario, pas même par celui d’une mère qui détruisait les questions en condamnant sa fille au repli. La future poétesse a su se laisser aller loin des couches asphyxiantes du non-sens afin que tout reste ainsi possible, probable, imminent.
Dans chacun de ses textes quelque chose avance, se précise sans qu’aucune vérité ne se coagule vraiment. Ecrire est donc d’une certaine manière nier. Mais nier les évidences des langues (celle du Paris populaire ou le Gascon du Quercy) afin que celle qui se dit “la Muette” s’invente un “ corps ”. Matrice des choses, ce dernier existe ; à travers lui, le retour sur les humiliations et les réussites constituent les deux routes du passé. Preuve qu’un parcours d’enfance n’a de sens que lorsque la vie est déjà bien avancée et que de cette masse la poétesse peut trouver des trouées de sens. Car l’écriture ne ravaude ni ne recoud. Au mieux, elle laisse passer.
Annie Salager le sait et n’en demande pas plus. Elle fait passer de l’illusion subie à l’illusion exhibée. Par sa propre expérience, l’auteure trouve une manière de dire ce que nous sommes : étrangers à nous-mêmes, à notre langue, à ceux qui nous ont fait. Etrangers à leur paradis qui sont parfois des enfer(mement)s. C’est pour la créatrice la manière de répondre au “qui-suis je ?” sans le prétexte d’un prétendu “réalisme idéalisé qui représente la forme la plus détestable de la poésie”.
“Qu’ils ne viennent plus nous emmerder avec ces histoires d’objectivité et de choses vues” écrivait déjà Beckett. Il aurait sans doute reconnu en Annie Salager un écrivain majeur dans la mesure où elle abrase les apparences et les quintessences statiques. Sa langue creuse le monde afin que sortent des fantômes. Ils ne sont que les caricatures si on sait les apprivoiser. A leur mauvaise éternité la poétesse répond par l’éternité (relative) de textes durs et doux qui cherchent moins à durer qu’à exister.
jean-paul gavard-perret
Annie Salager, Œuvres Poétiques, Editions La Rumeur Libre, Paris, 2014.
De l’auteure, chez le même éditeur : La Mémoire et l’Archet
Un remerciement à Jean-Paul Gavard-Perret !
A.Salager