Julien Gracq, Terres du couchant

D’entre les ombres

Il existe des pas­sages fas­ci­nants dans le récit resté inédit de Gracq : « Chaque sai­son ame­nait ses fruits et ses plai­sirs, et la Terre du Cou­chant n’était pas avare. Les vices dans le gou­ver­ne­ment du Royaume étaient si vieux, et leurs méfaits si capri­cieux dans leur enche­vê­tre­ment qu’ils finis­saient par par­ti­ci­per des hauts et des bas qui donnent sa variété à tout spec­tacle natu­rel : si on for­mait le vœu par­fois de les voir « s’arranger », c’était de la même lèvre pieuse dont on sou­haite que le temps « s’arrange » après la grêle ou la gelée ». Se retrouve là ce qui fit le suc­cès du Rivage des Syrtes. Ecrit à la même époque, ce récit est le fruit d’un pro­jet pour­sui­vit pen­dant trois étés puis aban­donné tout en conser­vant quelques pages qui devien­dront La Route. Cette fic­tion inédite se situe à une époque indis­cer­nable. Sans doute celui d’un Age bar­bare et en un royaume en décom­po­si­tion que cer­tains volon­taires tentent de tirer de la léthar­gie.
Le nar­ra­teur per­met d’assister à leur voyage puis à leur vie dans une ville assié­gée « murée pour le néant » et à ce titre au bord du gouffre. Néan­moins, tout l’art de Gracq tient à la magie de des­crip­tion où le regard — comme le pay­sage — se perd dans « un rêve de neige flotté sur un aveu­glant regard bleu, les linges gla­cés, glo­rieux, éblouis » d’une mon­tagne énig­ma­tique. Il y a là du Buz­zati mais un Buz­zatti qui quit­te­rait l’aventure humaine pour celle du pay­sage. Cela peut être trop. Ou trop peu. Mais non sans charme.
Au sein du chaos la vie est même par­fois « douillette et confor­table » comme « dans une mai­son dont on s’est rési­gné à condam­ner les pièces d’apparat ». Le texte n’en manque pas. Mais le lec­teur en reste spec­ta­teur fas­ciné — ou non — dans la demi-teinte et à la dou­ceur des ombres. La quête ou l’errance s’y perdent en long ruban per­fide dans son luxe d’images. Gracq les brasse avec délice jusqu’à nous enfon­cer dans un ima­gi­naire qui pour­rait faire de ce « roman » celui que les Sur­réa­listes n’ont jamais osé écrire.

jean-paul gavard-perret

Julien Gracq, Terres du cou­chant, post­face de Bern­hild Boie, édi­tions Corti, Paris, 2014.

1 Comment

Filed under Poésie, Romans

One Response to Julien Gracq, Terres du couchant

  1. Marisa Aparicio

    Es que il existe en espagnol?

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