Il existe des passages fascinants dans le récit resté inédit de Gracq : « Chaque saison amenait ses fruits et ses plaisirs, et la Terre du Couchant n’était pas avare. Les vices dans le gouvernement du Royaume étaient si vieux, et leurs méfaits si capricieux dans leur enchevêtrement qu’ils finissaient par participer des hauts et des bas qui donnent sa variété à tout spectacle naturel : si on formait le vœu parfois de les voir « s’arranger », c’était de la même lèvre pieuse dont on souhaite que le temps « s’arrange » après la grêle ou la gelée ». Se retrouve là ce qui fit le succès du Rivage des Syrtes. Ecrit à la même époque, ce récit est le fruit d’un projet poursuivit pendant trois étés puis abandonné tout en conservant quelques pages qui deviendront La Route. Cette fiction inédite se situe à une époque indiscernable. Sans doute celui d’un Age barbare et en un royaume en décomposition que certains volontaires tentent de tirer de la léthargie.
Le narrateur permet d’assister à leur voyage puis à leur vie dans une ville assiégée « murée pour le néant » et à ce titre au bord du gouffre. Néanmoins, tout l’art de Gracq tient à la magie de description où le regard — comme le paysage — se perd dans « un rêve de neige flotté sur un aveuglant regard bleu, les linges glacés, glorieux, éblouis » d’une montagne énigmatique. Il y a là du Buzzati mais un Buzzatti qui quitterait l’aventure humaine pour celle du paysage. Cela peut être trop. Ou trop peu. Mais non sans charme.
Au sein du chaos la vie est même parfois « douillette et confortable » comme « dans une maison dont on s’est résigné à condamner les pièces d’apparat ». Le texte n’en manque pas. Mais le lecteur en reste spectateur fasciné — ou non — dans la demi-teinte et à la douceur des ombres. La quête ou l’errance s’y perdent en long ruban perfide dans son luxe d’images. Gracq les brasse avec délice jusqu’à nous enfoncer dans un imaginaire qui pourrait faire de ce « roman » celui que les Surréalistes n’ont jamais osé écrire.
jean-paul gavard-perret
Julien Gracq, Terres du couchant, postface de Bernhild Boie, éditions Corti, Paris, 2014.
Es que il existe en espagnol?