Eléments biographiques
Georges Bernanos vers 1940
Georges Bernanos est né le 20 février 1888 à Paris, rue Bossuet. Son père est un commerçant d’origine espagnole et lorraine, tout comme l’ensemble de sa famille paternelle (occurrences au XVIe du nom de Burnanos dans des actes de ventes). Sa mère est issue d’une famille paysanne et catholique. C’est d’ailleurs d’elle que Bernanos puisera sa foi.
Peu après sa naissance, la famille Bernanos déménage à Fressin, dans l’Artois. Dans Les Grands Cimetières sous la lune, il décrit son enfance comme une période heureuse, au plus près de la nature. C’est aussi à Fressin que le jeune Georges Bernanos se découvre un gout prononcé pour la lecture. Il se passionne pour les romans d’Ernest Hello, d’Honoré de Balzac — dont il dévore entièrement La Comédie Humaine – de son futur maître Edouard Drumont, de l’écrivain François-René de Chateaubriand ou encore de l’historien Jules Michelet.
Par la suite, Bernanos se forme chez les pères jésuites puis, après plusieurs échecs successifs au baccalauréat, il finit par l’obtenir en 1906, le tout couronné du premier prix de philosophie. C’est aussi une période de trouble spirituel pour le futur écrivain. De 11 à 17 ans, il délaisse le catholicisme pour finalement y revenir définitivement par la suite.
Après l’obtention de son baccalauréat, il mène une double licence ès lettres et droit. C’est alors qu’il s’engage politiquement, plus particulièrement au sein du jeune mouvement (1899) de l’Action Française alors en plein essor. Il n’hésite pas à participer à des bagarres qui lui valent parfois de rentrer écorché chez sa sœur qui l’héberge. Avec l’Action Française, de 1908 à 1909, il fait tout pour empêcher les cours d’Amédée Thalamas de se tenir. Les manifestations dégénèrent, ce qui lui vaudra 5 jours de prison à la Santé en 1909. Politiquement, Bernanos n’hésite plus à afficher et à défendre ses tendances monarchistes et royalistes. En 1912, il participe même à la tentative du rétablissement de la monarchie au Portugal.
De 1913 à 1914, il commence son activité journalistique, notamment en tant que directeur d’Avant-Garde, hebdomadaire monarchiste basé à Rouen. Il y croise le philosophe Alain, avec qui il se dispute fréquemment. Bernanos s’ouvre à d’autres lectures comme Léon Daudet, futur témoin de son mariage, ou Léon Bloy. De 1914 à 1918, il s’engage volontairement pendant la Grande Guerre au 6 e dragon, où il finira comme brigadier. A la sortie de la Guerre, il délaisse le journalisme qui ne lui rapporte plus assez et s’engage dans une compagnie d’assurances jusqu’en 1926, année où il publie son premier roman Sous le soleil de Satan. A partir de ce moment-là, il ne posera jamais plus sa plume. Lauréat du prix Femina en 1928 pour La Joie, il est désormais un écrivain reconnu et refuse à plusieurs reprises la légion d’honneur. En 1932, ses relations avec Charles Maurras, son maître de l’Action Française, se détériorent. Dans un article du 22 octobre publié dans Le Figaro et intitulé « Rempart de papier » il écrit : « M. Charles Maurras est à l’abri au plus sûr, au plus profond de mes souvenirs de jeunesse et (…) il lui est parfaitement loisible de m’outrager là sans risque ».
Peu avant son départ pour les Baléares pour cause d’endettement, Bernanos subit un grave accident de moto, en 1933, qui le paralyse d’une jambe. De 1934 à 1937, il s’installe non loin de Palma de Majorque. C’est ici qu’il rédige Les Grands Cimetières et nombre d’autres œuvres comme le début de son Journal d’un curé de campagne. Après un bref retour en France, il part d’abord pour le Paraguay en 1938 puis s’installe au Brésil où il dirige une importante exploitation agricole. Depuis cette terre de quasi exil, il soutient le général De Gaulle et défend la France libre après la défaite de 1940. Lors de la Libération en 1945, Bernanos rentre en France après avoir reçu un télégramme du général De Gaulle lui indiquant « Votre place est parmi nous ».
De retour en France, il émet le vœu de rédiger une Vie de Jésus. Peu de temps après, le 5 juillet 1948, il décède à l’hôpital américain de Neuilly des suites d’une maladie du foie. Bernanos ne recevra pas de funérailles officielles si ce n’est l’hommage des Républicains espagnols et d’André Malraux.
Pour conclure, Georges Bernanos est un homme fait de paradoxes. Monarchiste et ancien militant de l’Action Française, il refuse cependant de hurler avec les loups lors de la Guerre d’Espagne. Fidèle lecteur d’Edouard Drumont, il rejette l’antisémitisme lors de la Deuxième Guerre. Fervent catholique, il n’hésite pas à condamner la position de l’Eglise lors des évènements d’Espagne.
Bernanos et la guerre d’Espagne
A présent, intéressons-nous au thème principal, qui n’est cependant pas l’unique sujet, qui irrigue Les Grands Cimetières, à savoir Bernanos et la Guerre d’Espagne. Comme nous l’avons vu précédemment, ce n’est ni le premier conflit auquel il assiste, ni la première fois qu’il prend la plume pour décrire ce qu’il voit. On peut dire que Bernanos assiste aux évènements « en connaisseur » et aux premières loges. Sa position vis-à-vis du général Franco, qui se soulève le 17 juillet 1936, est dans un premier temps enthousiaste. On sait cela grâce aux multiples correspondances que l’écrivain entretient et aussi grâce aux premiers articles qu’il publie entre le 26 mai 1936 et le 18 janvier 1937 dans la revue Sept dirigée par des Dominicains.
Habitant l’île de Majorque avec sa famille depuis 1934, Georges Bernanos se tisse rapidement un réseau de connaissances, aussi bien en fréquentant les quelques aristocrates de l’ile qu’en se rendant dans les cafés et bien sûr à l’église. Lors de l’insurrection de Franco, Bernanos est tout de suite mis au courant et se montre favorable au général. Son fils, Yves Bernanos, s’engage dans la Phalange, organisation paramilitaire servant les intérêts de Franco et participant activement à la répression antirépublicaine. Georges Bernanos est fier de voir son fils s’engager dans cette guerre et ira même assister au défilé des troupes phalangistes dans Palma de Majorque, le tout avec un grand enthousiasme. Cette fierté qu’il éprouve à l’égard de son fils, il ne s’en cache d’ailleurs pas dans Les Grands Cimetières en y voyant — après coup — une aventure glorieuse de jeunesse. En mai 1936, peu de temps avant le coup d’Etat de Franco, la Phalange organise une violente action de répression à l’égard des « suspects ». Encore une fois, Bernanos soutient les actions de son fils Yves.
Quand la guerre est réellement déclarée, à partir du 19 juillet 1936, Bernanos assiste à l’organisation des troupes républicaines avec méfiance. C’est naturellement qu’il salue l’arrivée des Italiens venus prêter main forte aux rebelles. Mais assez rapidement, ces mêmes Italiens cherchent à prendre le contrôle de la répression et, de fait, relèguent au second plan les troupes phalangistes qu’ils assignent à de simples taches policières. Bernanos commence alors à prendre ses distances avec ces derniers, qu’ils n’hésitent pas à qualifier de « salauds » dans sa correspondance avec Pierre Belperron. Dans le même temps, Bernanos prend également ses distances avec le clergé local et en particulier « l’ignoble évêque de Majorque [qui] laisse faire tout ça » (Correspondances).
En 1937, sa rupture avec les troupes italiennes est entamée et l’écrivain n’hésite plus à les critiquer virulemment en public ou au café. Dans un entretien du 17 juin 1937 qu’il accorde à la revue Candide, Bernanos s’exprime en ces termes : « Ce que je sais, c’est que tuer un pauvre est abominable, parce qu’un pauvre est sans défense ».
Finalement, après s’être fâché avec une partie du clergé local et des troupes italiennes aux pratiques qu’il juge inhumaines, Bernanos, en grandes difficultés financières, quitte l’ile de Majorque avec grande hâte et débarque à Marseille le 31 mars 1937. Trois jours avant leur arrivé en France, la fille des Bernanos, la jeune Dominique, avait trouvé son ami républicain (« le vieux mendiant » dans Les Grands Cimetières) pendu dans une grange. Cet épisode tragique semblait présumer la défaite républicaine.
Le journaliste
Avant d’étudier plus amplement Les Grands Cimetières, il paraît incontournable d’évoquer l’activité journalistique de Bernanos. En effet, c’est en tant que journaliste que le futur écrivain aiguise sa plume. Comme nous l’avons vu plus haut, au début des années 1900, il se rapproche de l’Action Française et collabore régulièrement à la revue sous la houlette de Charles Maurras. Il y côtoie alors Léon Daudet, rédacteur en chef, Jacques Bainville ou Henri Vaugeois. Le public qui lit la revue est alors essentiellement composé de gens venus des classes moyennes, de tendances nationaliste, mais aussi de gens d’Eglise, des militaires ou encore des monarchistes. Dans les années 1913, il prend la tête de L’Avant-garde de Normandie, journal royaliste dans lequel il polémique avec Alain. Dans les années 1930 il collabore à divers journaux dont Le Figaro, où il commente l’actualité littéraire et politique. Il y défendra par exemple Céline en 1932 quand ce dernier manque le Goncourt pour Voyage au bout de la nuit.
Installé à Majorque, il continue à publier dans de nombreuses parutions, en France comme en Espagne, notamment dans la revue Sept. Le 17 avril 1935, il donne quelques articles à Marianne, ce qui froisse quelques-uns de ses amis de droite.
Son activité journalistique lui permet d’avoir un œil aiguisé sur l’actualité et fait naître en lui cette habitude de pratiquer la polémique. Cette expérience accumulée fait de Bernanos un témoin permanent de son temps qui s’exprime et prend l’habitude de commenter les évènements. Dans Les Grands Cimetières, on ressent parfaitement cette écriture au style parfois journalistique lorsque l’écrivain rapporte des faits auxquels il a assisté.
Les Grands Cimetières sous la lune
Le livre en quelques mots
Le livre paraît en librairie le 22 avril 1938 chez Plon, maison d’édition fondée en 1843 et qui publie au même moment des écrivains comme Henri Massis ou Paul Claudel. Quelques semaines avant la sortie du livre, Hitler a annexé l’Autriche le 13 mars et le général Franco est sur le point de l’emporter. Dans Les Grands Cimetières, Bernanos relate – entre autres — les évènements de la Guerre d’Espagne auxquels il a directement assisté. Mais le livre ne se limite pas à un simple journal d’un écrivain témoin de quelques faits. Au-delà de la guerre, Bernanos aborde des thèmes plus divers comme la société, la religion ou encore des réflexions plus philosophiques sur le devenir des civilisations. Ainsi, résumer le livre au seul récit de la Guerre d’Espagne — comme le font beaucoup trop de synthèses — paraît réducteur et partiel.
Ni roman, ni livre d’histoire, ni pamphlet anticlérical
Bernanos commence très tôt à mener une réflexion sur « la France et le Monde vus depuis Majorque ». Le 25 avril 1935 il écrit à Pierre Belperron :« Je me suis mis à écrire mon journal et j’y travaille chaque soir une heure. Ecoutez, mon vieux, je crois que ce sera assez beau, émouvant du moins. ». Mais c’est au moins d’avril 1937 qu’il commence la rédaction définitive des Grands Cimetières. Il confie à une amie qu’il « dépense toutes [ses] modestes réserves de forces nerveuses » pour parvenir à bout de l’ouvrage. Le livre est terminé un mois avant sa sortie.
Beaucoup classent le livre sous l’étiquette de roman. Mais les spécialistes préfèrent le terme « d’œuvre de combat ». Autre illusion trop répandue, celle d’en faire un livre historique sur la Guerre d’Espagne. Un des plus grands spécialistes de l’œuvre de Bernanos, William Bush, note qu’en réalité « sur 395 pages de texte, il y en a 191 – c’est-à-dire plus de la moitié – qui ne font aucune référence à la Guerre d’Espagne”. Bien sûr, la Guerre d’Espagne tient un place importante dans l’œuvre et se retrouve toujours en fond, mais l’écrivain use davantage de cet évènement pour interpeller les lecteurs sur la situation générale en Europe. D’autres y ont vu un acharnement anticlérical. Ici encore il convient d’y apporter de fortes nuances. Bernanos, même à Majorque, ne manqua jamais d’aller assister aux messes et de rester courtois envers la majorité des prêtres qu’il a pu croiser. Dans Les Grands Cimetières il écrit d’ailleurs que « sous aucun prétexte, [il] ne voudrait écrire un mot contre l’Eglise ». Il dénonce cependant la peur de l’Eglise face à la répression de Franco et s’en prend avec violence à l’évêque de Majorque, Josep Miralles.
Ce qu’on peut dire des Grands Cimetières, c’est que l’œuvre est une source majeure pour les historiens qui peuvent y apprécier la vision d’un intellectuel de droite, catholique et monarchiste face à la Guerre d’Espagne et surtout y analyser l’effet produit sur la réflexion et la vie même de cet auteur.
Réception de l’œuvre
Pour terminer, il convient d’évoquer la manière dont fut reçut le livre au moment de sa parution à la veille de la Seconde Guerre. Les Grands Cimetières provoque des réactions diverses. Certains voient en Bernanos un prophète et un témoin véridique, d’autres un traître et un menteur. Dans un article paru le 6 mai 1938 dans l’Action Française, Pierre Tuc juge le livre d’ « honteuse palinodie » écrit par un « un pauvre fou ». Le 20 mai 1938, Je suis partout écrit que Bernanos « fait profession d’être l’ennemi juré de tous ceux que nous aimons ». Pour Boideffre, Bernanos est l’opposé de Malraux lorsqu’il écrit « si j’accorde plus de poids au témoignage de Malraux qu’à celui de Bernanos, c’est que Malraux a vécu son témoignage ; que faisait donc Bernanos, pendant la répression ? ».
Le livre est cependant mieux reçu par une partie de la gauche qui voit – à tort — dans Bernanos un sympathisant. En conclusion, on peut dire que Les Grands Cimetières restent une œuvre difficilement classifiable. Le plus vraisemblable serait d’y voir un plaidoyer adressé à la droite française afin qu’elle prenne garde du mirage fasciste italien et des excès que cela peut comporter. La Guerre d’Espagne est alors un de ces terribles excès de violences. Document historique de premier plan avant d’être un document d’histoire, Les Grands Cimetières sont un témoignage précieux qu’il faut lire avec toutes les précautions et les nuances que nous avons tenté d’apporter.
yoann solirenne
Extrait de la lettre de Simone Weil adressée à Bernanos lors de la sortie du livre :
« Monsieur,
Quelque ridicule qu’il y ait à écrire à un écrivain, qui est toujours , par la nature de son métier, inondé de lettres, je ne puis m’empêcher de le faire après avoir lu Les Grands Cimetières sous la lune. Non que ce soit la première fois qu’un livre de vous me touche ; le Journal d’un curé de campagne est à mes yeux le plus beau, du moins de ceux que j’ai lus, et véritablement un grand livre. Mais si j’ai pu aimer d’autres de vos livres, je n’avais aucune raison de vous importuner en vous l’écrivant. Pour le dernier, c’est autre chose ; j’ai eu une expérience qui répond à la vôtre, quoique bien plus brève, moins profonde, située ailleurs et éprouvée, en apparence — en apparence seulement -, dans un tout autre esprit.
[…]
J’ai reconnu cette odeur de guerre civile, de sang, et de terreur que dégage votre livre ; je l’avais respirée. Je n’ai rien vu de certaines des histoires que vous racontez, ces meurtres de vieux paysans, ces ballilas faisant courir des vieillards à coups de matraques. Ce que j’ai entendu suffisait pourtant. J’ai failli assister à l’exécution d’un prêtre ; pendant les minutes d’attente, je me demandais si j’allais regarder simplement, ou me faire fusiller moi-même en essayant d’intervenir ; je ne sais pas encore ce que j’aurais fait si un hasard heureux n’avait empêché l’exécution.
[…]
Ce que vous dites du nationalisme, de la guerre, de la politique extérieure française après la guerre m’est également allé au coeur. J’avais dix ans lors du traité de Versailles. Jusque-là j’avais été patriote avec toute l’exaltation des enfants en période de guerre. La volonté d’humilier l’ennemi vaincu, qui déborda partout à ce moment (et dans les années qui suivirent) d’une manière si répugnante, me guérit une fois pour toutes de ce patriotisme naïf. Les humiliations infligées par mon pays me sont plus douloureuses que celles qu’il peut subir.
Je crains de vous avoir importuné par une lettre aussi longue. Il ne me reste qu’à vous exprimer ma vive admiration.
S. WEIL. »
Bibliographie
- BERNANOS Georges, Les Grands Cimetières sous la lune, Points
- BERNANOS Georges, Œuvres romanesques, Bibliothèque de La Pléiade
- JULLIARD Jacques et WINOCK Michel, Dictionnaire des intellectuels français, Seuil
- MASSOT Josep I Muntaner, Bernanos et la guerre d’Espagne, Sal Vator
- MILNER Max, Georges Bernanos, Plon
- RENARD Pierette, Georges Bernanos, Témoin, Presses Universitaires du Mirail
En lisant Pas Pleurer je me penche sur l œuvre de Georges Bernanos je ne connais que le dialogue des Carmélites je découvre la guerre d Espagne je connais l histoire de Simone Weil à qui on avait donné ordre de tuer un prêtre mais je remercie Internet car j ai des connaissances plus larges
C’est en lisant “Pas pleurer” que je me suis intéressée par la suite à l’oeuvre de Bernanos.
Chacun de ses livres m’ont interpellé en constatant une certaine ambiguité chez cet écrivain vis à vis de la religion, de la société, de la
politique. Ses romans sont d’une intensité forte.
Je n’ai pas souvenir d’avoir étudié Bernanos au lycée. Il mérite d’être étudié car bien souvent ses réflexions sur la société, la religion et la politique sont à mes yeux encore d’actualité aujourd’hui.