Cédric Demangeot, Autrement contredit

Un vaga­bond du monde occidental

Ni simple reflet du monde exté­rieur ni seul pro­jet du moi pro­fond du créa­teur, l’écriture de Deman­geot dans sa vio­lence assu­mée est la meilleure for­mu­la­tion pos­sible d’une réa­lité absente à faire adve­nir. « Dépassé par mon propre évé­ne­ment, je ne bâtis pas de digue, ni ne célèbre mon point mort. La corde aux phé­no­mènes tient – la parole usée jusqu’à l’os –, tient encore ensemble la mer et le corps, et tout mon vide ainsi noué s’apprête à signifier : je ne l’en empêche pas » écrit celui qui, ému par la fra­gi­lité des êtres et du monde, sait jouer de l’écart qui existe tou­jours entre ce qu’il veut faire res­sen­tir et ce que disent ses mots qui luttent en avan­çant : c’est là en effet que se situe cet impon­dé­rable qu’on nomme écri­ture.
Autre­ment contre­dit en appelle à une sur-existence pour la sur­vie face aux ténèbres. Son auteur compte sur son ins­tinct et son éner­gie pour impo­ser sa dif­fé­rence et son exal­ta­tion sombre mais gran­diose. Poète du secret de l’intérieur de l’être, il en dégage une étrange lumière fluo­res­cente qui joue autant sur le dehors que sur le dedans. La lune absorbe ce que le soleil émet au sein d’étranges scènes. Dans chaque qua­dra­ture, l’univers est recons­truit dans une atti­rance des muta­tions là où Deman­geot se refuse à toute conces­sion envers lui-même : « A la fin je suis le geste de refu­ser le refus, rien d’autre que ce geste qui n’a pas de fin, mais dont le coup ne manque jamais d’intéresser ou d’inquiéter le bes­tiau. Je me vise comme gibier jusqu’aux migraines – jusqu’à la crampe qui n’attend pas ».

L’écri­ture reste donc une urgence. Elle témoigne d’une spi­ri­tua­lité et d’une pré­sence du corps dans un élan qui dépasse le vécu quo­ti­dien. Elle devient conjonc­tion, conver­gence. l’auteur rap­pelle que tout se tient là où est che­villée une lumi­no­sité noc­turne du temps. “Phé­no­mène d’être” selon la for­mule de Bache­lard, la poé­sie fait écla­ter les images du réel par un détour­ne­ment par­ti­cu­lier : sans tour­ner le dos à toute repré­sen­ta­ti­vité, l’auteur y intro­duit des élé­ments per­tur­ba­teurs jusqu’à pro­duire un fan­tas­tique jeu d’attraction et de répul­sion.
Tout se joue en cette char­nière insé­cable de la ges­ta­tion de l’écriture. L’immense mérite du poète, mûri d’abord dans le silence, consiste à faire que la moi­tié noc­turne du monde soit mise en évi­dence au milieu du scin­tille­ment de ses “ruines” en un extra­or­di­naire céré­mo­nial de régé­né­res­cence et d’appel. Il nous pro­jette au-delà de la pen­sée admise et “choséifiée”.

jean-paul gavard-perret

Cédric Deman­geot, Autre­ment contre­dit, Des­sins de Tho­mas Presle, Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2014, 184 p. - 23,00 €. 

1 Comment

Filed under Poésie

One Response to Cédric Demangeot, Autrement contredit

  1. Clam

    Très belle cri­tique pour une très belle oeuvre, une des plus belles oeuvres qu’on puisse pro­duire aujourd’hui.

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