La correspondance de Colette adressée à Musidora est ici éditée pour la première fois, par les soins de Gérard Bonal qui l’a préfacée et qui y a ajouté quelques textes utiles pour préciser les circonstances de cette amitié. L’actrice, qui admirait la romancière, l’a connue avant de devenir à son tour une célébrité ; de seize ans plus jeune que Colette, elle lui inspire une affection protectrice que résume éloquemment le mot “mèramie“.
Au fil des lettres, le lecteur (re)visite des étapes importantes de la vie des correspondantes, impliquant maintes épreuves, dont celles des deux Guerres mondiales. Colette s’y montre à la fois brillante épistolière, pleine d’humour et d’un courage placide qui ressort particulièrement bien lorsqu’elle raconte comment des éclats d’obus pleuvaient à trois mètres d’elle, ou qu’elle évoque lapidairement telles privations subies au quotidien. Une autre qualité de la romancière retient l’attention tout au long de la lecture : la générosité qui la porte à se préoccuper constamment non seulement de Musidora (dont la vie privée semble avoir été malheureuse la plupart du temps, et dont la carrière a vite décliné, la laissant dans une situation matérielle lamentable), mais aussi d’une kyrielle de connaissances, dont ce couple de jeunes comédiens nécessiteux, le mari de dix-neuf ans et la femme de vingt-quatre, pourvus d’un bébé, que Colette héberge et pour lesquels elle organise une collecte de fonds jusque auprès de ses amis qui ne les ont jamais croisés !
La tournure d’esprit inimitable de Colette réserve au lecteur maints passages d’aperçus et même de conseils pratiques, qui donnent l’impression de la côtoyer. Ainsi, nous apprenons (p. 58) que “cette nuit, il est entré un chat noir qui a fait plouf ! sur mon ventre. Il y est resté, et depuis, il a adopté la maison“ située rue Cortambert (Paris, 16ème), déjà peuplée d’amies. Ou bien, consigne à ne pas négliger, l’excellente ménagère qu’était l’écrivain à ses moments perdus nous avise de la bonne façon de soigner les rideaux : “Quand les rideaux ne sont pas en laine, la suspension verticale, derrière des volets clos, est le meilleur moyen de conserver la soie ou le fil. Dépendus et pliés, ils se coupent.“ (p. 75). Le volume regorge de passages irrésistibles de telles et telles autres sortes, qui régaleront les amateurs. En outre, l’édition séduit par la qualité du papier, de la typographie et des illustrations – peu nombreuses mais de choix. On ne regrette qu’une seule chose : la brièveté relative de cette correspondance qu’on aurait souhaitée beaucoup plus ample.
agathe de lastyns
Colette, Un bien grand amour, lettres à Musidora, 1908–1953, L’Herne, avril 2014, 224 p. – 15,00 €