Carole Martinez, Dors ton sommeil de brute (Rentrée littéraire 2024)

Remplir les vides, pur­ger le trop plein

A la sor­tie du réel, sinon poten­tiel du moins accep­table, s’ouvre un ordre sau­vage là où des chefs de famille sérieux qui ouvraient jadis le jour­nal et appor­taient les gâteaux pour les enfants du monde dis­pa­raissent. Sur la pla­nète, des cris d’enfants semblent en connexion avec des esprits de la nature que seuls les rêves des petits semblent connaître mais les leurs se trans­forment en cau­che­mars.
On peut déjà ima­gi­ner des Savo­na­role qui savent se ser­vir de Power Point et qui enre­gistrent sous leur man­teau des ser­mons. Les jeunes lar­gués qui n’ont plus la rue comme maî­tresse, et même pas ça, pos­sèdent des agences quasi extra­ter­restres pleines de bibe­lots voire d’affiches spirituelles.

Nous assis­tons dans un pays-univers où tout ou presque est per­mis. Il est situé sous une gigan­tesque doxa aussi vir­tuelle qu’invisible qui remet des slo­gans et des mes­sages. Le tout sur fond qui n’a rien d’exotique ou de doré. Au fond existent des nuits où pour­raient s’achever des der­nières années.
L’auteure crée ainsi une dys­to­pie où la dis­tance de ce qui va arri­ver se rap­proche des rêves hor­ribles et leurs cris de meute. Jusque là, des femmes à l’air ennuyé et amusé pou­vaient siro­ter des cock­tails invrai­sem­blables aux noms évo­ca­teurs, à com­men­ter les potins avec amies ou ser­veurs. Mais pour l’héroïne, il s’agit de sau­ver ce qui peut l’être et qui l’est – là où après tout sa Lucie tro­que­rait une « Lucy » que des ama­teurs de film connaissent bien.

Ce qui naît obs­cu­ré­ment de la nature et se pour­suit dans les rêves de sa fille ne garan­tit pas que, quelque part dans le cer­veau, sa mère semble sou­mise à ce qui ter­rasse et peut rendre aphone. Il faut donc à l’héroïne presque aimer les mots comme des idoles eu égard à ceux qui ter­rassent d’une sen­si­bi­lité trop jeune — qui sait ? — ou du fait d’un cer­veau mal nourri quoique tout enfant connaisse le bon­heur mal­gré des cris de résis­tance.
Ce livre en ce sens est aussi inquié­tant que par­fait. Sur­tout pour ceux qui aiment la fic­tion et ses mots au point de s’en conten­ter, quitte à se situer dans la ligne d’une inter­pré­ta­tion moderne (même cette posi­tions semble par­fois « natu­relle ») sans recours à de nom­breux exé­gètes exacts gérés.

Mais le raf­fi­ne­ment lin­guis­tique de ce qui arrive en séries de dys­fonc­tions peut être déchif­fré par des esprits raf­fi­nés. Même si pour l’héroïne son esprit rural et péri-urbain convient à sa créa­trice. Le pit­to­resque y est secon­daire même si se découvrent des mots frais, pareils à des pas­tèques en évi­tant que leur bon suc ne dis­pa­raisse dans les lézardes de l’écorce (terrestre).

jean-paul gavard-perret

Carole Mar­ti­nez, Dors ton som­meil de brute, Gal­li­mard, collec­tion Blanche, 2024, 400 p. — 23,00 €.

1 Comment

Filed under Chapeau bas, Espaces ouverts, Romans

One Response to Carole Martinez, Dors ton sommeil de brute (Rentrée littéraire 2024)

  1. Villeneuve

    Carole Mar­ti­nez offre un bon­bon raf­finé que JPGP suce avec volupté .

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