Marine Leconte est quasiment la fille cachée de Lacan. De l’âme à tiers dont l’inconscient se pétrit, elle a hérité de l’art d’un ou des cris. Mais, plutôt que de caresser la débauche et la pusillanimité des forgerons de vers longs plus que des longs bricks, elle préfère les bacs chiches où les poissons sont noyés dans tout ce qui s’envasent.
Au lieu de pécher à la ligne, Marine préfère l’abrupt au truand ou à la mel(ép)opée. Loin des rivages des Syrtes acquis, elle opte pour ce qui s’incise, se monte, se démonte ; bref, elle renverse une sorte de repli des images pour et par sa langue qui oscille entre le brûlant et la glaciation — souvent par effet de “tramatisation”.
Du réservoir du monde qui l’entoure, elle ne conserve que des lignes de force à la recherche d’un langage métonymique éloigné des redondances sauf celle qui oblige de ce qui s’impose et qui se soupçonnait déjà: “Au commencement la répétition”, selon Michaux — là quand gourou en quelque sorte.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le réveil quand je l’entends. Mais je préfère la sonnerie du merle posé sur le rebord de ma fenêtre. Il peut facilement se moquer, ma cabane n’a pas de volets.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je le découvrirai quand je serai enfant, je suis née très vieille femme tortue ne connaissant pas la course. M’approchant tranquillement du début commencé par la fin, je saurai en temps voulu lesquels ils étaient.
A quoi avez-vous renoncé ?
Un grand renoncement, jamais je ne suis parvenue à faire pousser dans mon jardin un mimosa.
Et ça c’est un poème en moins.
Que j’ai longtemps attendu.
Mi-mots.
D’où venez-vous ?
D’un mélange fait de varech essentiellement.
De cet endroit appelé laisse de mer.
Traînée, pas mère, tirée par les cheveux comme on dit d’une histoire.
Faite de ce dont se déleste l’océan sur le sable après marée haute.
Débris, algues, coquilles, plumes, os, arrêtes, griffes égarées, verres polis, bois flottés, capsules d’oeufs, substances spongieuses, gélatineuses.
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
Un chant marin incompréhensible, dans une langue inconnue, transmis par une femme qui tenait le vent.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Plaisir il y a ou pas.
Petit pas.
Ce qui est quantifiable n’étant pas toujours mesurable.
J’ai renoncé à balancer.
Comment définissez-vous votre poétique ?
Du lieu où j’écris.
Faire silence.
Pour y être.
M’en absenter.
Pour que ma présence ne pèse trop.
Que je n’encombre pas le paysage.
Et qu’alors je puisse entendre.
Discerner.
Ce qui parle.
Malgré moi.
À mon insu.
Et dont à vrai dire je n’ai aucun savoir.
C’est un risque que je mesure.
Mais encore davantage un jeu, tout autant léger que grave, inutile que vital.
Je ne cherche pas à élucider ce que je ne peux saisir.
Et ne tente pas de l’éclaircir.
Ni même d’en définir les contours.
Ce qui taraude.
Je l’interroge.
Dans sa présence insaisissable.
Je m’en approche.
Mais à rebours.
Pour ne pas dire à reculons.
Maladroitement.
Et mal assurée.
Je laisse.
Sans laisse.
En moi parcourir les chemins inconnus et dialectes insolubles.
Dont je ne peux répondre, il est vrai.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Un terre, taire, peu là. / L’image j’y étais pas.
Et votre première lecture ?
“Exploits pour une pierre blanche” de Gunnel Linde.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Ça dépend de comment bruisse le monde et d’où il me parvient, bourdonne, clique, claque, murmure, hurle, caresse, pleure, jouit. Juste j’aime pas la fanfaronne.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
En poésie chaque pas étant une offrande tout autant qu’une dérobade, j’y viens et reviens, puise et repuise, inlassablement. Une source intarissable.
Quel film vous fait pleurer ?
« Incendies » de Denis Villeneuve adapté de la pièce de Wajdi Mouawad.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un paysage mouvant.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À moi, j’ai égaré l’adresse.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Les coordonnées géographiques exactes et sexagésimales sont : latitude nord 49° 17′ 5″ et longitude ouest 0° 9′ 17″. Mais il me faut, pour supporter le lieu, une grande inspiration.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Impossible de tous les nommer alors je n’en garde qu’une, la poétesse Moon Chung-hee.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Ce que l’on a à m’offrir.
Que défendez-vous ?
L’opacité face au ça voir.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Que c’est celui qui dit qui y est.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Celle de où dit haleine, à en perdre quoi ?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Celle qui ne peut s’énoncer.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-Perret, pour lelitteraire.com, le 20 mars 2024.
Humour intelligent et primesautier qui rejoint le style particulier de JPGP .