Thomas Gunzig, Kuru

Thomas Gunzig, Kuru

Le message antimondialiste et anticomplots marque des points au compteur, mais ce n’est pas du tout un bon livre, loin s’en faut !

Avant de parler du livre parlons un peu de l’auteur et plus précisément du type d’auteur auquel Thomas Gunzig se rattache naturellement. D’abord, il appartient à la nouvelle génération, ce qui signifie : écrire n’importe quoi en pouvant appeler ça littérature. Puis, il est de ceux qui écrivent comme ils pensent ou l’inverse, ça n’a pas d’importance – enfin, cette catégorie de scribouilleurs qui s’inspirent directement du rien, du rien littéraire entendons.

On peut avoir une petite idée de ce qui suit avec les sempiternelles citations en début d’ouvrage – le sport favori de ce type d’auteur étant d’en barbouiller le plus possible, Thomas Gunzig ne déroge pas à la règle. Un extrait d’une quinzaine de lignes environ du Dr Strangelove de Stanley Kubrick, en anglais, ouvre la lecture sur une manière de néant, qu’illustre à sa façon cette sélection entre ceux qui lisent et ceux qui ne lisent pas l’anglais. Peut-être un simple détail, mais qui se révèle fort significatif du contenu des pages suivantes. Cette volonté d’être différent, original, sans apporter ne serait-ce qu’une once d’imagination, marque irrémédiablement l’entrée dans ce livre du sceau de la médiocrité – une médiocrité qui malheureusement se confirmera davantage par la suite. Mais enfin, avant de jeter Kuru dans la grande machine à incinérer les déchets, on va le lire.

Comme souvent après ce genre d’expérience, la recomposition des fragments dispersés du « moi » est nécessaire. On en revient mais le choc est rude. On n’est jamais tout à fait le même après avoir vu le néant. Alors voilà, le néant se compose de personnages, de contemporanéité stylistique et d’un récit qu’on brinqueballe comme une vieille paire de baskets accrochée à un sac de sport.
En gros, deux récits s’imbriquent et finissent, dans un miracle de grossièreté et de suffisance, par ne faire plus qu’un comme on forcerait un carré à pénétrer un rond.
Fred, le premier personnage, est un pauvre type migraineux (il a des mouches dans la tête), plus ou moins étudiant en thèse, entretenu par son père qu’il déteste. Il se laisse porter par le cours des événements. Le but de sa vie, c’est le sexe et plus particulièrement le cul de Katerine, point focal de sa vie, horizon de ses événements, alpha, oméga, présence divine, révélation (p. 40). Cette Katerine en question, nous y reviendrons, est en fait sa cousine. Le sexe donc : On ne lui avait jamais fait de pipe et il avait toujours envie de savoir comment ça faisait. Une vraie pipe (p. 38) ! Ça pourrait être intéressant mais ça ne l’est pas. Il se retrouve embarqué dans une manifestation altermondialiste à Berlin avec Paul, Kristine et Pierre, le mec de mademoiselle, tous entassés dans un deux-pièces minable. Paul fut le meilleur ami de Fred mais le redevient à la faveur de la lutte. Il souffre d’une infection urinaire : Je me suis baigné dans une rivière, un poisson minuscule est rentré dans mon urètre et a pondu des œufs. Les larves se nourrissent de ce qu’elles trouvent. (p. 72). Humour. Mais dans ce livre, l’humour, ce n’est pas seulement une pure jouissance c’est aussi un vecteur communicatif de message à caractère politique : Du parasitisme, comme le système libéral : la survie d’une minuscule minorité assurée par la destruction du corps qui l’abrite (p. 73). Cet ouvrage est très important ! Tellement, que l’on va passer sur Kristine et Pierre et s’intéresser directement au second récit : Fabio et Katerine.

Mademoiselle est très belle, elle a un très beau cul, ce doit être important puisque c’est répété une centaine de fois dans le bouquin. Elle n’est pas très intelligente, elle lit beaucoup de magazines féminins – ce qui, chacun le sait, est lié. Comme, chez les hommes, il n’y a que les cons qui aiment le foot tandis que les intellos, eux, écrivent des poèmes. Elle se découvre aussi le don de pouvoir déplacer les objets, un peu comme Yoda en somme. Elle est mariée avec Fabio, un jeune homme très beau avec suffisamment d’argent pour que sa femme ne travaille pas et dépense des fortunes à se payer des fringues. Fabio a un problème immense : il est sujet à des éjaculations précoces. C’est très grave et ça gêne considérablement sa vie de couple notamment lorsqu’il aimerait s’occuper de Yoda. Aussi, il pense avoir trouvé une solution à ses soucis lorsqu’il découvre la clinique d’un certain professeur Heinz, chantre de la « dissociation ». En fait, il se trouve que le professeur Trucmuche règle les problèmes de ses patients à coup de sodomie sur une table d’opération. Bien évidemment, la clinique se trouve à Berlin et la chambre de notre couple dans l’hôtel où se déroule la réunion du G8. Il n’est ni intéressant de raconter la suite, ni pertinent de raconter la fin pour celles et ceux qui souhaiteraient lire ce très mauvais livre. Néanmoins, et ce afin de montrer tout l’intérêt de cette publication, il est recommandé de comprendre à quel sommet de vulgarité mal placée nous avons affaire. En effet, le raffinement n’est pas le fond de commerce de cette petite entreprise en démolition littéraire. De toute façon, elle ne se revendique pas comme raffinée – une des scènes les plus marquantes du livre figurant Yoda en train de branler un esprit des Enfers incarné dans un bouc au cours d’une cérémonie satanique. Ceci fait, le bouc chie sur le tapis de la chambre d’hôtel libérant de ses entrailles une adresse permettant par la suite la jonction des deux récits préalablement évoqués. Voilà où on en est.

Concernant le style, il est un assemblage de périphrases, de quelques mots de vocabulaire et d’une longue file ininterrompue d’adjectifs visant sans doute à donner du relief à ce paysage stylistique désespérément plat. La difficulté de Thomas Gunzig à relever le défi de la différence, de l’originalité, qu’il s’est lui-même lancé, trouve une forme de paroxysme dans cette tentative pathétique de rendre la matérialité du signifiant (à la façon d’un Guillaume Dustan). Que ce soit un cri, une émotion, une onomatopée ou autre chose qui puisse émettre un son, tout est bon à prendre pour remplir d’un peu plus de vide encore les pages désespérément blanches de Kuru : pif ! pif ! pif ! pif ! le bruit d’excitation de la femme ; pschhhh la radio bien sûr ou encore plotch ! plotch ! la boue. Nous ne saurons trop conseiller à Thomas Gunzig ces quelques bruits qu’il pourra à sa guise disperser dans ses futures productions : pan pan le pistolet, waf waf le chien, zzionm la voiture qui roule vite ou encore clac le couvercle de la poubelle jaune, tri séléctif pour emballages, cartons et plastiques. On vomit aussi beaucoup dans ce livre (boueurhh, le vomi : à mettre sur la liste), et l’on y entrecoupe ses phrases de « putain », de « con », de « bordel », de « merde » comme on dit « bonjour » ou « merci ». À ce propos, si on s’arrête par exemple sur la page 35, on relèvera cinq occurrences du mot « bordel ». Un calcul rapide du nombre de « bordel » sur la base minimale et tout à fait raisonnable d’un bordel et demi par page, nous donne tchic (bruit de calculette : à mettre sur la liste), tchic 1.5, tchic, x par 277 tchic, tchic, tchic = 415.5, ce qui, convenons-en, fait bien de trop de « bordel » pour un livre de merde.

Thomas Gunzig n’est pas notre auteur préféré, vous l’aurez compris. Son mélange humour + jeunesse + désespoir + côté obscur de la force et misère sexuelle n’est pas du meilleur effet. L’ineffable inanité de ce livre oblige par ailleurs à négliger un nombre considérable d’autres âneries, en particulier l’utilisation lamentable du comique de situation. Passons. C’est le livre dans son ensemble qui est à proscrire. Pourtant, par un certain côté – un certain côté « torché » – l’on songe à Amélie Nothomb, et il est très regrettable de constater que notre auteur n’exploite pas convenablement son talent. Son message très critique contre la manipulation des esprits par des gourous diplômés en antimondialisme, contre la théorie des complots dans tous les coins et contre l’idée qu’il existe une élite regroupée en société secrète marque des points au compteur mais si peu… On comprend bien que la présence de la magie dans ce livre est un contrepoint au mysticisme antimondialiste, que finalement tous les complots des élites sont aussi réels qu’une serviette de bain qui vole. La fusion des deux récits qui intervient aux deux tiers du livre marque l’arrivée de Yoda dans le groupe de Pieds nickelés du départ et avec elle un retour à la réalité de principe pour ce groupe qui déplorera la mort d’un des leurs parce qu’il a cru à toutes les conneries qu’on lui avait fait avaler précédemment. Bon alors, c’est vrai, y’a un peu de souffrance, y’a de la peine, de la compréhension, des sentiments humains… etc. Mais ce n’est pas du tout un bon livre.

m. clément

   
 

Thomas Gunzig, Kuru, Au diable Vauvert, août 2005, 19,00 €.

 
     
 

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