Sébastien Goethals, Le temps des sauvages

Sébastien Goethals, Le temps des sauvages

Un conte philosophique et social hallucinant

Sébastien Goethals travaille dans l’animation, mais s’est spécialisé très vite dans le dessin de thrillers. Conquis par la lecture de Manuel de survie à l’usage des incapables, le quatrième roman de l’auteur belge Thomas Gunzig, il décide de l’adapter en bande dessinée.
Sur une grève déserte une vieille femme et une petite fille regardent une énorme baleine échouée, attaquée par un nuage de mouettes.
Jean et un de ses collègues surveillent depuis une camionnette, par vidéo, Martine Laverdure, une caissière de supermarché. Sa direction veut la licencier car elle est trop lente. Ils doivent apporter la preuve qu’elle entretient une relation avec un autre employé, relation interdite par le règlement et cause de licenciement. Ils obtiennent cette preuve. Jean doit rester, lors de l’entretien, comme témoin. Jacques Chirac Oussoumo, l’ami de Martine est également convoqué. Le colosse s’insurge, menace physiquement les responsables présents. Jean sort son pistolet à impulsion électrique et tire. Les deux flèches atteignent Martine qui meurt.
Jacques va trouver les quatre fils de son amie, des braqueurs qui viennent de faire sauter un fourgon blindé et de s’emparer du butin. Ce sont des mutants mi-humains, mi-loups. Même si leur mère génétique ne s’est jamais occupée d’eux, ils décident de venger sa mort et de tuer son assassin, toute sa famille et de les dévorer…
Jean se trouve pris, à son corps défendant, dans un engrenage de violence et il va devoir lutter de toutes ses forces pour tenter de survivre.

L’action se déroule dans un cadre futuriste, un futur proche cependant car tout ce qui est représenté, tant les décors que les accessoires, est très actuel. Le contenu d’anticipation consiste essentiellement dans ces manipulations génétiques qui autorisent l’implantation de gènes animaux. Ce qui fait que les humains, pour la plupart, sont croisés avec des créatures non humaines dont ils possèdent des facultés. Le décor est terne, triste, renforcé par un dessin en gris avec des touches, des taches de brun.
Avec ce récit, le romancier et le scénariste dénoncent le système capitaliste et ses outrances. Ici, le choix s’est porté sur la grande distribution et ses cadences pour avoir une rentabilité à tout prix, à n’importe quel prix d’ailleurs allant même jusqu’à l’ineptie joliment appelée dommages collatéraux. Mais ce triste constat est valable dans d’autres secteurs professionnels. C’est aussi l’angoisse du chômage, de la perte d’emploi avec ses conséquences sur le statut social, sur le train de vie qui est illustré et qui amène certaines personnes à accepter l’inacceptable. C’est aussi une vision peu réjouissante de la vie de banlieue, de la violence qui y règne, des « petits soldats » formés à la chaîne dans des écoles de commerce et de l’application des politiques de management.

Tout à la fois thriller, roman noir, récit d’anticipation, roman d’aventures, pastiche, fable sociale, conte philosophique, cette histoire est également très humoristique, un humour noir, corrosif, décalé. Le temps des sauvages, donne un terme générique qui peut s’appliquer à tous les intervenants du récit, à un moment ou à un autre. Cette histoire permet de suivre une mécanique parfaitement huilée pour le déroulement de l’intrigue jusqu’à une conclusion dans le droit fil du scénario.

serge perraud

Sébastien Goethals (scénario, dessin et couleurs), aidé de Gom pour les couleurs, Le temps des sauvages, adapté du roman de Thomas Gunzig Manuel de survie à l’usage des incapables, Futuropolis, octobre 2016, 272 p. – 26 €.

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