Frédéric Grolleau, L’homme et l’animal: qui des deux inventa l’autre ?

Frédéric Grolleau, L’homme et l’animal: qui des deux inventa l’autre ?

Larmes de porc et crocodiles épiques
Sous son interrogation liminaire, Frédéric Grolleau montre comment la littérature non seulement peut mais doit  penser l’animal. D’Esope à Kafka, l’essentiel passe à travers sa viande, ses plumes, ses poils, ses écailles. Il dessine le lieu de la perte de l’idéalité où l’effet d’abstraction des mots le déréalise. La bête différencie donc le travail du deuil de celui de la mélancolie, ce travail qui permet de reconnaître ce qui a été perdu, où le sujet se creuse, se mange du dedans.
Ecrire le bestiaire qui nous habite revient à tatouer à la fois le vide et le trop-plein humain. C’est aussi la tentative de mettre des noms sur les animaux qui nous boivent, nous sucent, nous crachent.

L
a littérature ne peut qu’appeler la bête. Pour preuve : même les anges ont des ailes ! Ils font partie de l’infinité des monstres que les métamorphoses littéraires doivent inventer non seulement pour sortir de l’anthropomorphisme mais lui donner un sens. La bête coagule nos fantasmes (Darrieussecq) et nos fantômes (Kafka).
Non seulement elle affecte mais elle permet une compréhension sidérante de l’être. Chaque écrivain qui s’en empare la fait à l’image du monde: un loup, un cochon, une hyène. 
 
Frédéric Grolleau illustre combien il est important d’entrer dans l’épaisseur de ces animaux. Ils sont les étrangers qui nous lient au peu que nous sommes et rappellent la vie d’avant le jour  et d’avant le langage. L’auteur prouve combien il faut préférer l’impureté du zoo qui nous habite à la caserne de notre prétendue pureté. Bref, il  faut passer du paroxysme de l’idéal à l’abîme bestial. Sous les « plans » translucides du premier  les animaux persistent et aiguillonnent de leurs museaux et griffes.  
Le bestiaire fantastique de la littérature fabrique une perspective que nous voulons ignorer et que Grolleau rappelle. L’incendie animal n’est jamais maîtrisé.  La bête écrase la pensée. Elle permet à l’inconscient de parler. Sa peau fuyante est percée. Le corps retourne à son immense réserve sauvage. Preuve qu’on n’est rien, à personne sinon au serpent et à la lionne, au sein de nos galeries intérieures qui sont autant de labyrinthes zoologiques.  Les plis du cœur, les déchirures de l’âme, notre paquet de nerfs ne sont qu’une forêt sauvage où nos fauves demeurent tapis. Leurs trajets font  chemin en nous dans le jeu de nos miroirs.
 
Pour s’en défendre l’homme a inventé le religieux. Il est devenu le sens de notre moindre. Mais en dieu l’esprit est aussi aveugle qu’impatient. Pour voir il doit  revenir à l’animal. Dieu n’est donc que l’invention pour cacher les animaux qui nous terrassent. Leur présence sexualise le  mot “ écriture « . Et Grolleau illustre comment elle fait parler ce qui se tait. Ecrire  la bête revient donc  à s’arracher à l’erreur mystique comme arracher à la langue plumes, peaux, pelages, écailles, cornes et  mues.
L’auteur prouve qu’en ses animaux l’homme est un et innombrable. Le porc en lui accouche de la chimère. L’âme humaine est donc soluble dans la bête.  Les pensées parlent à travers elle. Elle montre que le rat d’eau méduse et comment on découvre en lui nos manteaux de vision. Cochon qui s’en dédit.

jean-paul gavard-perret 

Frédéric Grolleau, L’homme et l’animal : qui des deux inventa l’autre ?, Les Editions Le Littéraire, Paris, avril 2013,148 p. – 19,50 €.

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One thought on “Frédéric Grolleau, L’homme et l’animal: qui des deux inventa l’autre ?

  1. Si une récente truie a trouvé son cochon elle n’en a pas pour autant élevé le débat comme le fait en bonne forme la plume intelligente de Frédéric Grolleau véritable Sauveur de l’identité humaine qui compose sa genèse à partir de l’animal . JPGP confirme avec brio ce duo qui m’a précipitée vers l’achat non compulsif mais réfléchi et surtout non regretté d’un livre rare et goûteux qui propose sans psychanalyse philosophique la simplicité primate de l’humanité .

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