François Rivière, L’Ombre de Frankenstein
Au cours de l’été 1932, Tony Montero, un jeune Anglais de 14 ans, se trouve être le voisin de Boris Karloff
Ombre trompeuse…
C’est vraiment abuser le lecteur que d’afficher en épigraphe une citation de Boris Karloff – L’ingrédient essentiel à l’authentique terreur, par opposition à ce qu’on a coutume d’appeler l’horreur, est la peur – la peur de l’inconnu et de l’inconnaissable. On s’attend, sinon à de véritables aventures supranormales, au moins au récit tragi-comique d’aimables fantaisies générées par l’imagination féconde d’un jeune garçon nourri de livres… eh bien non, L’Ombre de Frankenstein n’est rien de cela… Les souvenirs d’adolescence narrés par un Tony Montero devenu vieux n’ont rien de passionnant, malgré un contexte des plus attrayants…
En effet, séjourner à Hollywood en 1932 et se trouver être le voisin de Boris Karloff avait bien de quoi émoustiller les pensées d’un jeune Anglais de 14 ans venu rejoindre son père diplomate en compagnie de son frère cadet, de sa petite sœur, et de ses cousins Mark et Angela devenus leurs frère et sœur adoptifs depuis le décès de leurs parents. Flanqués d’une austère gouvernante suisse, les enfants Montero découvrent un univers fascinant, et Tony déploie tout ce qui est en son pouvoir pour s’attirer la considération de son illustre voisin, comme lui amoureux de littérature. Et nous voilà en présence d’une suite d’anecdotes où se succèdent réactions et attitudes incompréhensibles aux yeux du lecteur qui ne parvient pas à pénétrer l’intimité du narrateur. Ah, ces battements de cœur à tout rompre pour avoir simplement perçu les échos d’une querelle conjugale ! cette jalousie dévorante pour un cousin de deux ans plus âgé parce qu’il suscite l’intérêt d’un scénariste célèbre… comme ces émois profonds nous paraissent disproportionnés par rapport aux événements fort anecdotiques qui les provoquent ! Le récit n’offre pas suffisamment de matière pour que l’on en comprenne les réels fondements, et l’on ne comprend pas davantage cette jalousie maladive que le narrateur dit éprouver à l’encontre de son cousin : elle est sans cesse mentionnée, avec force détails mais sans que soient donnés au lecteur les moyens de l’interpréter, de l’analyser. En d’autres termes, il manque quelque chose à ces descriptions de sentiments confus dans lesquelles se complaît le narrateur pour que l’on puisse réellement être touché, ému.
Nous voilà, en fin de compte, bien déçus par ce récit de l’initiation du narrateur que promet la quatrième de couverture, nous alléchant à coups d’allusions à de soi-disant mystère ou danger des rencontres de hasard, et évoquant une innocence enfantine au point crucial où elle menace de se perdre définitivement. Le propos paraît bien mièvre, nonobstant de vagues allusions aux possibles penchants homosexuels du cousin, que l’on devine à demi-mot, et qui valent aux jeunes Montero un retour prématuré en Angleterre. Les adolescents d’aujourd’hui auront bien du mal à accrocher à ce récit qui ne repose sur aucune péripétie digne de ce nom, qui ne se présente pas non plus comme un texte parodique, et qui n’est pas davantage l’instructive balade espérée dans l’âge d’or hollywoodien. Quant à attirer un lectorat adulte, n’y pensons pas…
Il faut enfin souligner que François Rivière, à travers le « je » de Tony Montero ou celui qui est peut-être le sien propre dans l’épilogue, s’exprime dans un français impeccable. Classique, sans faute, appliqué comme pourrait l’être la page d’écriture d’un écolier méticuleux… un style aussi ennuyeux qu’un élève trop sage sanglé dans son uniforme amidonné. Autant dire qu’associée à une histoire sans consistance véritable dont le personnage central n’offre lui-même aucun intérêt – le lecteur aura bien du mal à éprouver à son égard le peu d’empathie indispensable pour s’émouvoir de son sort ou de ses pensées – cette manière d’écrire met la dernière touche à l’inanité de ce bref roman.
isabelle roche
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François Rivière, L’Ombre de Frankenstein, Les Cahiers du cinéma, 2004, 128 p. – 13,00 €. |
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