Alexandre Bonnet-Terrile, L’année, le rêve et le jeudi suivi de L’énoncé

Alexandre Bonnet-Terrile, L’année, le rêve et le jeudi suivi de L’énoncé

Eloge de l’incertain

Pourquoi un poème devrait-il ressembler au monde ? On soutiendrait plus aisément qu’on a tenté d’y dis-sembler à la version du monde que donnent les représentations d’époque. C’est plutôt cette façon de voir qui peut aider à comprendre pourquoi il y a de la poésie (cet effort bizarre pour dire quelque chose du monde sans rien en représenter de manière ordinaire) – plutôt que pas.
Alexandre Bonnet-Terrile, révolutionnaire à sa manière, prouve que ce n’est pas la semblance du monde qui alerte dans sa poésie ; mais le fait que la sienne (l’émergence et la formation du monde dans la représentation verbale) apparait jaillir dans d’étranges versifications, métriques et lumière qui enveloppent un monde non assigné à la ressemblance.

Certes, et avant lui, beaucoup de poètes tentèrent de fusionner ces deux acceptions de la formule horacienne en produisant un texte à la fois imageant et imagé. Mais Alexandre Bonnet-Terrile donne à ses poèmes une corne de la béatitude mais à la forme ad hoc volontairement de bric et de broc : pour preuve, sa pratique est reprise et magnifiée (déjà annoncée dans les calligrammes d’Apollinaire, comme dans son texte « Il pleut » où les mots sont autant de gouttes de pluie qui tombent du haut de la feuille ).
Alexandre Bonnet-Terrile va bien plus loin : « Le temps m’observe / il a visage Mais figurez-vous / qu’il est aussi partout comme la pluie pendant l’orage / figurez-vous cernés par un visage // Le temps m’observe depuis tout / Il vous faut concevoir / un regard qui serait vos parages / Comprendrez pourquoi j’en deviens fou », écrit le poète dans ses vers, qu’ils soient libres ou disciplinés, s’assumant violents, terrorisants, ravageurs. Ils défilent sous la voix du personnage-poète.

Il n’hésite pas à les morceler, les étendre ou les raccourcir pour en accentuer la mélodie et rendre perceptible le bariolage du quotidien. Les mots qu’il emploie et réemploie, les rythmes qu’il privilégie, les rimes qu’il aime agencer et les formules s’accumulent, pour réinventer un lieu, une vérité, et surtout un homme qui s’énonce lui-même.
Existe quasiment un jeu quasiment plastico-sémique dans ses textes où le poète insinue que de l’ordre naît le désordre, celui d’une jeunesse qui veut renverser l’autorité et la rigidité de l’ancien monde. Un renversement et une velléité ordonnatrice reprennent leurs droits.

D’autant, plus qu’au-delà du poétique classique, une succession de termes, notions, catégories occupent bien souvent une place plus importante que l’image-mot elle-même. Son marathon de l’existence entre son chat, des soirées, la vie, la mort, l’amour et sa désinvolture, l’auteur le parcourt avec introspection là où pourtant, tel un coureur, il avance en prouvant parfois que manquer de souffle, c’est aussi le reprendre afin de caresser chimères et monstres en une sorte d’éloge de l’incertain.

jean-paul gavard-perret

Alexandre Bonnet-Terrile, L’année, le rêve et le jeudi suivi de L’énoncé, Illustrations de Lucas Taïeb, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2025, 172 p. – 25,00 €.

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