Faut-il préférer l’intime à l’amour ?
Faut-il sacrifier aux rites et aux mythes de l’amour, ou bien célébrer cette possibilité douce et neuve que nous offre l’intime ? L’amour, surtout le vrai, reste un discours, un récit, qui se déroule d’une déclaration à une rupture. Tout semble dit d’emblée dans ce « je t’aime », idéalement réciproque, où chacun définit l’autre comme son objet exclusif. Kant, déjà, ne voyait-il pas dans le mariage un étrange contrat de propriété mutuelle que sa seule réciprocité distinguait de l’esclavage pur et simple ? L’amour est un roman de l’autre au loin, qui échoue bien souvent là où l’intime réussit d’emblée.
Jullien ne signe pas ici un livre contre l’amour, mais sur et pour l’intimité, ce lien perpétuel et pourtant neuf, où s’évanouissent les distances. Car l’intime, c’est là sa magie propre, dissipe les frontières. Dans l’intime le dedans cesse de s’opposer à un dehors, comme quelque ligne de front, séparant à jamais les protagonistes des opérations amoureuses.
Prendre l’intime pour objet, c’est aller, au-delà de l’objet ou même du sujet, vers ce qui dans le sujet, à la fois le lie à l’autre et l’empêche d’être objet. Car l’intime est cette intensité du dedans qui me rend complice du dehors, comme si mes tréfonds trouvaient enfin en eux-mêmes la voie d’un pair et d’un égal.
Comme on voit, plutôt que d’évincer l’amour, il s’agit plus, au fond, de donner à la morale son vrai point de départ. En suivant le silence des antiques sur l’intime, le glissement de l’intime depuis Dieu jusqu’à l’homme, la perspective, enfin, de vivre à deux, Jullien donne plus que du vrai : il donne du sens.
jean-paul galibert
François Jullien, De l’intime, Loin du bruyant amour, Grasset, fév. 2013, 250 p. — 19,00 €.
Jean-Paul et Jean-Paul expriment d’une manière pertinente , innocente et transparente la priorité de l’intime dont la pauvre langue de France manque de finesse et choisit trop souvent comme fourre tout le terme ” amour ” si vague et sans sens .