De son Algérie natale comme de son sud de la France d’adoption, Jean-Michel Béquié a appris la lumière. C’est pourquoi les glacis clairs de ses “abstractions spirituelles” en ruissellent. Ses taches de clartés deviennent le lieu où tout a fini mais où tout commence.
Né en 1958 à La Tronche (Isère), il vit dans le Vaucluse, une partie de sa famille (maternelle) s’étant retrouvée près de Grenoble après avoir quitté l’Algérie en 1956. Nouvel exil pour des gens qui venaient de Corse et, trois siècles plus tôt, avaient fui le Péloponnèse. Sa grand-mère, veuve après la guerre de 1914, était ouvrière dans une manufacture de tabac à Toulouse.
Dans les différents moments de ce livre qui finit sa trilogie (avec Charles et Trou de Souvenirs de glissades, de jeux dans la neige, de luge, accroché à mon mémoire), il n’y a Dans le creux du temps pas plus de réponse de souvenirs à l’interrogation que pose celui qui, à l’analyse, préfère la projection de l’émotion, donc de l’innommable.
Son travail représente un recommencement du langage loin de toute volonté de copie du réel. L’art « parle » soudain dans l’écart pour voir mieux, pour voir « dedans » les remugles d’un inconscient plus habité d’élévation, de solarité que de miasmes morbides. Telle est au moins ici sa pétition de principe.
Travail d’émotion mais aussi d’ascèse, le récit prouve (sans didactisme) que certains maux existentiels ne guérissent pas sous l’effet de la parole (placebo) mais de l’image. Celle-ci permet de. trouver autre chose.
Toutefois, au mystère des mots on peut préférer la magie de l’image. A condition, bien sûr, d’épuiser ses ressources acquises afin de la faire suinter autrement, au sein d’une « logique » flottante mais concertée. En fin de compte surgit une ultime forme de littéralité absorptive faite de dispersions, dissolutions et de quasi effacements. C’est là la force de l’oeuvre qui atteint par le dénuement un lieu où se touche une vérité humaine et inhumaine, à la fois plus proche de soi par la force dites des choses et bien plus.
jean-paul gavard-perret
Jean-Michel Béquié, Dans le creux du temps, Editions La déviation, La Villedieu, 2024, 326 p. — 21,00 €.