Après une trilogie déjantée : Le Cri du corps mourant, le Cri du mort courant, Le maure m’a tuer (tous parus au cherche midi) mettant en scène des personnages bien pittoresques avec une verve impétueuse, le romancier change de décor et place son intrigue en Kabylie, dans la région de Sétif.
En route pour M’Zien, Omar et Rhiad, chauffeur et garde du corps de Mekhtar al-Amez dit le divin Mekhtar, sont arrêtés à l’entrée du bled par un groupe de loqueteux armés de rasoirs jetables. Ce sont des Gillette jaunes qui manifestent. Quelques coups d’armes automatiques aident à dégager la route.
Un peu plus tôt, à M’Zien, Mourad et son cousin Mermoud s’apprête à entrer clandestinement dans une maison. Ils sont à la recherche de Mirlouta, la sœur de Mermoud. Elle a disparu après son mariage avec Omar, un barbu dégueulasse. Ils sont sans nouvelles depuis huit mois.
C’est pendant l’escalade de la paroi rocheuse sur laquelle est construite la maison de Mekhtar que Rachid et Réda, deux hommes de main au service du contre-espionnage, les repèrent. Béchir, leur chef, consulté, décide de provoquer un accident car leur intrusion risque de faire échouer la mission.
Le coup de feu déstabilise Mermoud. Mourad le soutient mais ils sont dans une position difficile. Soudain, d’un vasistas trouant le mur lépreux, une corde de déroule et une voix surgie du passé les encourage à la saisir. C’est Mous, le frère aîné de Mourad. Il est dans les lieux car il recherche lui aussi des informations sur ce qui se passe dans la région.
Et ce qu’ils découvrent les stupéfie. Ils trouvent un Lebensborn inspiré de l’Allemagne nazie…
Si le décor évolue, le ton et le souffle restent les mêmes. L’auteur livre une intrigue foisonnante sur un sujet difficile, sur le mépris de la femme, une attitude trop répandue dans le monde. Il dresse un tableau documenté d’un pays déchiré entre plusieurs formes de dictatures, celle de l’armée, de religieux intégristes, de financiers, un pays sous la férule d’un Etat colonisateur qui guigne les richesses mal exploitées et surtout mal redistribuées.
Pour faire vivre son intrigue, Audiard mobilise une belle troupe de protagonistes de tous bords, des plus ignobles aux plus attachants. Il fait évoluer ces acteurs dans des univers différents, explore avec eux les diverses facettes de cette société. Il décrit un état d’esprit, les difficultés à se guérir de l’influence de la France. Les liens sont encore trop forts pour être apaisés.
Marcel Audiard se livre à des observations tant sociales que politiques, fruits d’une vision lucide. Il truffe son histoire de très nombreuses images toutes pertinentes et d’un bel à-propos comme “…des pas firent croustiller le gravier.” ou “Tu soignes un cancer en nourrissant des métastases, toi ?” Ces images truculentes sont nourries aux meilleures sources de l’humour, un humour noir à souhait appuyant sur les plaies et les blessures tant de la société algérienne que du pays.
Le titre est-il inspiré d’un album des Rolling Stones ?
Un roman décapant, un récit atypique enflammé par une verve qui ne fait pas lâcher ce livre avant le dénouement.
serge perraud
Marcel Audiard, Let It Bled, Le cherche midi, coll. “Borderline”, janvier 2024, 320 p. — 15,00 €.