Jacques Villemain, Histoire politique des colonnes infernales. Avant et après le 9 Thermidor

Les colonnes géno­ci­daires de Turreau

Qu’est-ce qui peut expli­quer la déter­mi­na­tion de Jacques Vil­le­main, juriste spé­cia­lisé dans le droit pénal inter­na­tio­nal, à pour­suivre ses tra­vaux  sur les  répres­sions en Ven­dée, et à publier un nou­vel ouvrage, cette fois-ci sur les sinistres colonnes infer­nales du non moins sinistre géné­ral Tur­reau ? C’est lui-même qui répond à cette ques­tion : il faut rendre jus­tice à la Ven­dée pour ce qui lui est arrivé sous la Révo­lu­tion fran­çaise et nom­mer le crime par son nom. Un géno­cide. Car telle est la thèse inlas­sa­ble­ment défen­due par l’auteur, à l’aide la docu­men­ta­tion la plus pré­cise et dense pos­sible, et de ses com­pé­tences juridiques.

L’étude est d’autant plus inté­res­sante qu’elle per­met à Jacques Vil­le­main de peau­fi­ner son ana­lyse et la chro­no­lo­gie des faits. Lui-même pen­sait que le carac­tère géno­ci­daire des évè­ne­ments ven­déens ne pou­vait être ciblé qu’au moment pré­ci­sé­ment de la mise ne marche des colonnes de Tur­reau. Or,  affirme-t-il, le plan est déjà en place avant, et c’est bien une opé­ra­tion poli­tique qui est mise en place, dès le décret du 1er août 1793, visant à la des­truc­tion de toute la Ven­dée.
La mise en pièces de l’armée ven­déenne lors de la virée de Galernes, puis dans les marais de Save­nay, pre­mière lame géno­ci­daire au nord de la Loire, a ouvert la voie à une seconde, celle au sud de la Loire, celle de Tur­reau. Autre fait capi­tal: le ren­ver­se­ment de Robes­pierre comme le rap­pel de Tur­reau ne mirent en aucune façon fin aux mas­sacres, que les suc­ces­seurs de la Vertu Incar­née pour­sui­virent. Car s’il était une poli­tique qui ras­sem­blait toutes les fac­tions, c’était bien celle de l’anéantissement de la Ven­dée rebelle aux Droits de l’Homme.

Les Ven­déens devaient donc tous mou­rir, même les “patriotes” car “le gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire n’a ni le temps ni le désir de trier entre les Ven­déens patriotes et les catholiques-et-royaux.” Tous furent sacri­fiés. Ils devaient l’être par les armes mais aussi par les dépor­ta­tions et la famine. Ces deux der­niers élé­ments consti­tuent des points cen­traux du livre car ils prouvent bien que c’est l’ensemble de la popu­la­tion qui était dans le viseur.
Seuls les moyens man­quèrent à cette entre­prise cri­mi­nelle de grande échelle. “L’extermination des Ven­déens n’est pas le moyen  de la vic­toire, c’est le fond même de la vic­toire qu’on recherche.” Les colonnes infer­nales sont l’aboutissement logique d’un pro­ces­sus, la mise en œuvre de plans pen­sés avant jan­vier 1794, par le Comité de Salut Public lui-même.

Car c’est toute la chaîne de res­pon­sa­bi­lité qui est pas­sée au crible de l’analyse his­to­rique et juri­dique. Celle qui part du Comité et des­cend jusqu’au sol­dat, en pas­sant par les Repré­sen­tants en mis­sion et aux géné­raux, rouages dociles et com­pé­tents de l’œuvre de mort. Mais les ordres, pourrait-on deman­der ? Oui, les archives ont été épu­rées,. Oui, les assas­sins ont donné des ordres oraux. Ce qui n’empêche pas une recons­ti­tu­tion pré­cise du pro­ces­sus de com­man­de­ment, mal­gré les efforts gigan­tesques de tous les pro­ta­go­nistes de se dédoua­ner de leur culpa­bi­lité après Ther­mi­dor. Parce que tous savaient la gra­vité de ce qu’ils étaient en train d’accomplir. Une œuvre bel et bien col­lec­tive. Tous unis dans le crime puis dans la volonté de le nier.

Le tra­vail de Jacques Vil­le­main consti­tue en fin de compte une pièce essen­tielle à la connais­sance autant qu’à la qua­li­fi­ca­tion du crime, une réfu­ta­tion aussi ser­rée que docu­men­tée de l’argumentaire des néo-robespierristes dont on aurait tort de croire qu’ils ont par­donné à la Ven­dée son crime lèse-Révolution, une mise en pers­pec­tive his­to­rique essen­tielle à la com­pré­hen­sion des phé­no­mènes géno­ci­daires modernes.µ
Sans doute la meilleure manière de rendre jus­tice à ces pauvres gens exter­mi­nés pour avoir voulu défendre leur mode de vie.

fre­de­ric le moal

Jacques Vil­le­main, His­toire poli­tique des colonnes infer­nales. Avant et après le 9 Ther­mi­dor, Les édi­tions du Cerf, décembre 2022, 527 p. — 35,00 €.

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