Les historiens américains l’appellent la “quasi-guerre”, expression particulière pour désigner cette situation hors du commun qui a vu les États-Unis et la France rompre leurs relations diplomatiques, engager leurs navires dans des opérations navales, essentiellement concentrées dans les Antilles, au prix de pertes humaines élevées, mais sans aucune déclaration de guerre.
C’est tout le mérite d’Eric Schnakenbourg de sortir des oubliettes de l’histoire cet épisode méconnu des tumultueuses relations franco-américaines, dans un livre passionnant, écrit avec clarté et nourri de très bonnes sources.
Tout repose en réalité sur un malentendu originel. Les Français ont commis une triple méprise: croire que leur aide en faveur de l’indépendance ferait des Américains leurs éternels obligés ; penser que la Révolution de 1789 rapprocherait plus encore les deux peuples ; attendre des États-Unis une neutralité bienveillante et favorable à leurs intérêts dans la guerre opposant Paris à Londres.
Or, la force des liens culturels et commerciaux, au sein de cet univers anglo-saxon tout aussi prégnant de nos jours, maintenait une proximité entre anciens colonisés et anciens colonisateurs que la France ne pouvait battre en brèche. Le jeune État était trop attaché à son indépendance, à sa souveraineté, à son honneur pour devenir un satellite français. Sa volonté d’équidistance dans la guerre commerciale franco-britannique lui valut une rancœur de la République qui conduisit à une guerre de course intense.
Au-delà de ces faits, le livre nous plonge dans les débuts de la vie politique américaine, autour des trois premiers présidents (Washington, Adams et Jefferson) qui posèrent les fondamentaux d’un programme politique intérieur et extérieur, depuis le bipartisme jusqu’à la création de l’US Navy.
La quasi-guerre constitua en fait un point de départ capital de l’épopée américaine. Cet ouvrage le démontre avec brio.
frederic le moal
Eric Schnakenbourg, La quasi-guerre. Le conflit entre la France et les États-Unis, 1796–1800, Tallandier, janvier 2024, 312 p. — 22,50 €.