L’histoire d’une funeste ascension…
Giuliano da Empoli est essayiste et conseiller politique. Son essai le plus récent traduit en français, Les ingénieurs du chaos (Folio actuel n° 189), décrypte les méthodes des nouveaux maîtres de la propagande politique.
Le mage du Kremlin, son premier roman, paru chez Gallimard en 2022, a obtenu le Grand Prix du roman de l’Académie française et le prix Honoré de Balzac. Il raconte l’implacable montée au pouvoir d’un Vladimir poutine à travers la trajectoire d’un conseiller, d’une éminence grise.
Le narrateur obtient un financement de son université pour mener, à Moscou, des recherches sur Evgueni Zamiatine parce qu’un vague projet de réédition de son principal livre, Nous ou Nous Autres, est dans l’air. Zamiatine est un écrivain russe qui a dénoncé, dès 1924, les abus du Communisme et de staline. (C’est volontairement que je ne mets pas de majuscule à ce patronyme estimant que ce serai faire injure à toutes ses victimes).
Sur place, le narrateur suit des phrases, des fragments littéraires postés sur des réseaux sociaux par un certain Nicolas Brandeis. Un soir, il complète une sentence de Zamiatine. C’est ainsi qu’il va rencontrer Vadim Baranov qui a pris sa retraite après quinze ans passés au service du “tsar”, de poutine, contribuant de façon décisive à l’édification du pouvoir de ce dernier.
Il raconte sa vie, ses grands-parents, ses parents et l’ascension d’un certain agent du FSB. Ils se rencontrent alors que Baranov est encore dans les coulisses de la télé-réalité, du théâtre d’avant-garde et l’autre directeur du FSB, le service de renseignement de la Fédération de Russie. Baranov considère les situations par le filtre du théâtre et les acteurs politiques comme des artistes. Ne définit-il pas le début du XXe siècle comme un affrontement titanesque entre artistes, à savoir staline, hitler et Churchill ?
Tout est bon pour que les deux parviennent à leurs fins, les coups les plus vicieux, la corruption, les faux opposants, le meurtre, la désinformation, la propagande éhontée, la manipulation des masses, le contrôle de la vie des Russes, le complotisme, le conspirationnisme. La plaisanterie qui circulait en Russie après la chute de staline reste valable aujourd’hui : le citoyen russe est soit un ancien prisonnier, un prisonnier, un futur prisonnier.
Le romancier décrit les mécanismes qui ont amené la guerre en Tchétchénie, l’annexion de la Crimée, la tragédie du Koursk, l’utilisation des attentats de 1999 contre des immeubles de Moscou… C’est l’histoire de la Russie des trente dernières années qui défile sous les yeux du lecteur. On comprend les causes profondes de l’invasion de l’Ukraine. Avec cette éminence grise, on découvre le quotidien du président de la Fédération de Russie, un homme de plus en plus seul, voire isolé.
Ce livre, terminé un an avant l’invasion de l’Ukraine, est prémonitoire Il donne une belle vision de l’aveuglement de dirigeants européens incapables de comprendre la menace ou copieusement arrosés par le Kremlin pour fermer les yeux.
Giuliano da Empoli donne une description glaciale d’un système dictatorial car sous le pseudo de Vadim Boronov, il dissimule, en partie, le nouveau Raspoutine du Kremlin, à savoir Vladislav sourkov. Un livre à découvrir absolument !
serge perraud
Giuliano da Empoli, Le mage du Kremlin, Folio n° 7 306, janvier 2024, 320 p. — 8,90 €.