Perrine Le Querrec, Silence je me noie

Vues : 0

Perrine le Querrec l’Ardente

Les mots de Perrine Le Querrec sont-ils sans ombres ? Ses mots sont-ils sans faille en son crime d’amour, en sa contemplation prismatique et quelque peu décalée ? Sans doute car pour elle chaque heure est l’heure du désir, l’heure sans fin et infime du délice. La langue comme la main passe et repasse en d’étranges signes de croix. Murmure pieux, coït buccal. Poésie virginale et de mater dolorosa. Le je de Perrine n’existe pas sans le Vous qui l’attache :
« Lécher les fentes
Offertes à la Consolation.
J’exauce vos prières
à genoux
devant votre désolation
Sur ma langue maquillée
La dégradation renversée
Que votre volonté soit faite »

Le « Vous » de Perrine a compris : il fait le mort. Toujours rompu, jamais héroïque, il jouit de sa propre solitude face à la mère factice, la noire sœur, l’amante mystique. Il sait qu’un certain Dieu (du moins son idée, son plaisir) n’existera que par, à travers lui. Au nom de quoi tout est possible. Le charmant (pour le Vous) et le terrible (pour elle). Dans la fêlure. L’une dit « je l’aime mais je ne peux pas le baiser ». L’autre répond « je la baise mais je ne peux pas l’aimer ».
Ainsi « Vous » ne saura rien du sein couronné de lumière (même au moment où dans ses pires excès de dévoiement mystique la parlante soulève le voile). « Vous » se refusera à elle, sinon dans l’abject ou la violence, la renvoyant ainsi au piètre de la valetaille. Il se vidange de l’amour, après s’être laissé vidé sans se sentir coupable, car à mesure que Perrine lèche le vous, elle le vide et le remplit. Voilà ce qui fait d’elle la plus douloureuse des saintes. Crucifiée comme son Crucifié, offerte, ouverte à ses plaies qu’elle épouse. Face à la cloison aqueuse de ces plaies (hypostases de l’époux), elle fait des vagues : elle en “ de-meurt ”, elle en redemande, va jusqu’à se dénuder dans sa folie du mal, dans sa cotte de mailles ou sa nudité soumise sans plis pour s’abriter.

Dans sa bouche tout s’affole : mots, sens, fêlures, le comment dire le comment dois-je vous faire. En bonne fille elle s’apprend, se calque, s’égare jusqu’à ce que ça vienne et que ça se passe dans l’affolement des strates de silence qui devient impact. C’est ainsi qu’elle se veut, qu’elle se sait – jusqu’au bout ou presque – dans cette étrange altérité du pur désir ou du désir pur. C’est ainsi qu’elle se pense et se damne. Elle devient l’orante avec sa parole en plus, sa parole en trop qui se nourrit de la douleur de son ravissement. Qu’en est-il dès lors de son désir ? Une pensée qui désire plus que ce qu’elle pense. Qu’en est-il de sa pensée ? Un désir qui pense plus que ce qu’il désire. Dans tous les cas, il en va de l’expérience du regard et de la parole, il en va de l’expérience de la douleur. Géante de « Vous », elle n’a même plus sa peau de bête dans la tête, elle n’a Dieu que pour « Vous » qui en sera rongé du dedans. Elle peut reposer en paix car d’une certaine manière elle le baise. Enfin.

jean-paul gavard-perret

Perrine Le Querrec, Silence je me noie, Editions Derrière la Salle de Bains, Rouen, 2013, 8,00 €.

Leave a Comment

Filed under Poésie

Laisser un commentaire