Une suite particulièrement réussie !
Londres fête l’anniversaire de la Reine. Dans un entrepôt, une femme et trois hommes portent un toast à la mémoire de Septimus, mort dans les décombres de son laboratoire dans La Marque Jaune. L’un d’eux a retrouvé le disque jaune dont se servait ce scientifique pour hypnotiser et réduire ses victimes à l’état de robot. Le petit groupe charge le professeur Evangely, radié pour pratiques douteuses sur ses patients, de s’en resservir. Celui-ci veut retrouver Olric qui fut, à l’époque, le “Guinea Pig” idéal.
Blake se fait du souci. Il est sans nouvelles de Mortimer depuis un mois. Nasir, le majordome du Professeur réprouve les expériences que mène celui-ci pour tenter de maîtriser l’onde Mega. C’est pendant une absence de Mortimer que Nasir est témoin d’un étrange phénomène, la machine se réactive seule. Effrayé, il s’enfuit du laboratoire et il ferme la maison.
Parallèlement, dans la rue, des hommes hagards, aux yeux vides, dégageant des arcs électriques, tiennent des propos qui rappellent les litanies débitées par les cobayes de Septimus. Soudain, une silhouette ressemblant à celle du scientifique disparu, hante les rues de Londres, déclenchant une vague d’une étrange folie…
Dans l’œuvre d’Edgar P. Jacobs, deux récits de détachent par une richesse scénaristique et graphique remarquable : Le Secret de l’Espadon et La Marque Jaune. Si le premier fait la part belle à la technologie de pointe, le second s’appuie sur les sciences de l’humain, sur la manipulation du psychisme des individus. En utilisant l’hypnose, Jacob allait plus loin, dans le second degré, et dans l’art de conditionner les populations. Mais, le diabolique manipulateur mourrait à la fin du récit, car la morale et la justice devaient triompher.
Cependant, un tel chef-d’œuvre est suffisamment riche pour générer de nombreuses branches. Jean Dufaux, dont on connaît l’excellent niveau de son œuvre pléthorique, reprend, pour la première fois, les pas d’un autre auteur. Connaissant parfaitement les albums de Jacob, il en a restitué l’esprit et a intégré tout ce qui en fait la richesse et l’attrait, ce mélange subtil d’aventure, d’enquête policière et de fantastique. Il devait, également, retrouver l’ambiance des années 1950 en Angleterre et respecter la dimension scientifique de La Marque Jaune. S’il reprend l’usage maléfique de cette onde, il met en scène son contraire avec Mortimer qui, en preux chevalier du Bien, cherche des applications bénéfiques pour l’humanité souffrante.
L’action est très présente. Outre une machination diaboliquement ourdie, on retrouve tous les éléments d’aventures et de fantastique comme des laboratoires secrets, des souterrains, des attaques de clones, des déchaînements de forces incontrôlables. Jean Dufaux glisse même une dimension extraterrestre avec l’épave d’un vaisseau de L’Énigme de l’Atlantide. Il développe aussi un de ses thèmes favoris : les dérèglements psychiques et leurs conséquences. Si le scénariste reprend les personnages récurrents, s’il reste proche du modèle original pour les héros de la série, il propose sa touche personnelle avec Olric. Il apporte une vision différente de celle de Jacobs, moins manichéenne, en lui donnant une dimension plus humaine avec ses aspects positifs et négatifs.
Dufaux, dont on connait le gout et la qualité d’écriture, offre ici des dialogues percutants et des cartouches au narratif attractif (ndlr. : un seul bémol alors, cette méchante faute p. 16 où Mortimer dit : ” l’onde Méga peut intervenir en influant le cerveau…” qui témoigne d’une confusion entre les verbes influer — sur quelque chose - et influencer — quelque chose, by jove ! ). Quant au graphisme, le duo formé par Antoine Aubin et Étienne Schréder fait merveille. Ils ont su, mieux que leurs prédécesseurs, retrouver le trait initial, redonner corps aux personnages, proposer des décors dans l’esprit de la série originelle.
Cette incursion de Jean Dufaux dans Les aventures de Blake et Mortimer redonne un second souffle à cette série en remettant en scène, servie par un graphisme sans faute, des héros emblématiques et les éléments d’un album devenu mythique de la BD franco-belge.
serge perraud
Jean Dufaux (scénario), Antoine Aubin & Etienne Schréder (dessin), Les aventures de Blake et Mortimer, tome 22 : “L’onde Septimus”, Dargaud, décembre 2013, 72 p. – 15,25 €.