Un thriller palpitant dans le Paris de la Belle Époque
Cet album fait suite à Automne en baie de Somme tout en proposant une histoire complète. On retrouve l’inspecteur Amaury Broyan toujours ravagé par la mort de sa fille qui tentait d’avorter. Il a rossé le fils d’une puissante famille qu’il tient responsable pour avoir abusé d’elle. Cette raclée lui vaut d’être révoqué de la police.
C’est en février 1897 qu’à l’opéra Garnier un événement stupéfie le public. Le colonel Tréveaux, chargé de la sécurité du président Faure, est assassiné, apparaissant comme le Christ en croix au-dessus d’un public aspergé par son sang. Amaury Broyan, qui est au spectacle avec un membre de la ligue des Patriotes, se lance à la poursuite d’une silhouette gracile. C’est sur un quai de la Seine qu’elle se laisse rattraper. Il s’agit de Lisianne, une jeune femme qui a dû abandonner la danse suite à un accident et qui ne se remet pas de la mort d’Éric son frère.
Elle propose à Amaury de revoir Florine, sa fille. Elle sent en lui quelque chose d’étrange. Profitant d’un instant de distraction de sa part, il l’attaque. Elle lui tire dessus, il la pousse et elle heurte le support d’une lampe. Le pétrole se répand sur elle et s’enflamme. Elle court se jeter dans le fleuve…
Et commence une traque riche en tensions de toutes natures pour l’ex-policier…
Cette nouvelle enquête policière, menée par cet ancien inspecteur dans cette fin du XIXe siècle, prend en compte de multiples références en pratique à cette époque. Les découvertes sur des capacités du cerveau à partir des recherches médicales menées par Charcot, les usages de l’hypnose, du magnétisme. C’est aussi la grande mode du spiritisme pratiqué par de brillants esprits comme Victor Hugo, Conan Doyle… Les fumeries d’opium sont en vogue. C’est aussi la prise en compte d’un symbolisme avec la barque des morts, le passage vers les enfers.
Même si le roman de Gaston Leroux Le fantôme de l’Opéra n’a commencé à être publié en 1909, les liens sont très étroits. Le héros de Leroux se nomme Erik. Le frère de l’évanescente Lisianne, qui tient le rôle du fantôme, se prénomme Éric. Avec ces données, Philippe Pelaez conçoit une intrigue adroite, riche en informations et en rebondissements. Il sert un vocabulaire châtié et un dénouement d’une belle intensité.
Le graphisme, en couleurs directes, est l’œuvre d’Alexis Chabert. Celui-ci propose des personnages composés de façon singulière, de longues silhouettes, retrouvant les mesures des superhéros. Il signe des décors fabuleux, les intérieurs du palais Garnier, ses bas-fonds, les rues de Paris et ses monuments sont remarquables. Ses ambiances hivernales font ressentir le froid.
Il s’inspire des concepts de l’Art Nouveau, ces motifs floraux, décorations et arabesques du genre, un genre immortalisé par le génial Alfons Mucha. Il s’autorise une mise en page aérée, riche en variations mais d’une belle lisibilité. Il donne une planche avec l’héroïne sur une barque d’une beauté remarquable. Elle aurait bien sa place dans une exposition, voire au musée en lieu et place de certains tableaux dont on se demande s’ils ne sont pas là pour boucher des trous.
Avec Hiver à l’Opéra, les auteurs proposent un album d’une grande beauté tant pour son fabuleux graphisme que pour son histoire forte, nourrie de quantités d’informations.
serge perraud
Philippe Pelaez (scénario) & Alexis Chabert (dessins et couleurs directes), Hiver à l’Opéra, Bamboo, Label “Grand Angle”, octobre 2023, 80 p. — 17,90 €.