Un tissu mouvant n’attend pas de réponse
Ce livre ressemble à une moissonneuse –batteuse plus que lieuse– littéraire : s’y débat entre autres, grâce à un narrateur anonyme, un inspecteur de roman noir comme son nom Schwarz, plus gore que le chien Igor. En sept chapitres qui retracent sept journées d’errance et de leurres, il apprend à recouvrer — dans le bordel de la mémoire, des rêves et fantasmes — des figures cachées et des poupées brisées dans les épopées des désirs au sein de temps des plus variés.
Ce qui ajoute encore plus de maelstroms d’émotions et de coups tordus à un puzzle psychique où, depuis toujours — à savoir le temps d’un livre -, chacun est mené à sa perte, même Philippe II d’Espagne.
Mais toutefois, et en premier et pour cause, la jeune morte qui d’une certaine manière justifie cette fiction. Celle qui avait sans doute les yeux bleus (comme toutes les Isabelle) engage l’inspecteur sur une enquête improbable là où un détective ne fait que compliquer l’affaire et ce, par anticipation.
Bref, il n’y a pas d’inspecteur Harry ni d’enquêteur Marlowe : juste le visage de la morte même s’il n’est pas le seul à être embrouillé des algues d’une telle fiction en aquaplaning.
Est donc retrouvée loin des aigues mortes celle qui, jadis sorcière, fait désormais bégayer la fiction (mais tout autant un de ses personnages). Dès lors, des fils, ce roman n’en manque pas en ses bribes d’architectures déconstruites ou imbriquées. Il n’y a pas que des dalles à être fendues, que des escaliers à ne donner sur rien sinon sur le mystère. Restent d’impraticables broussailles, des pans de logos lézardés. Ainsi, comment retrouver l’endroit ? Et l’envers pas plus.
Le plaisir tient au fait que ce roman est sans réponses. Au mieux, elles sont différées, renvoyées les unes aux autres en un dédale où se défont personnages et intrigues, au gré d’un narrateur anonyme et douteux.
Que des femmes s’en mêlent, s’emmèlent et murmurent n’y change rien. Certes, elles ne sont pas les seules. Certaines d’entres elles sont toutefois plus haïes qu’aimées, ce qui néanmoins ne suffit pas à flécher une telle fiction qui a autre chose à faire que ravir ce qui se tricote habituellement dans le roman psychologique français pour les cuisinières de plus de 50 ans.
Une, nue, à genoux, les cuisses serrées, “parmi le décor de larges fleurs stylisées, roses, mauves, noires, entrelacées d’ondoyantes tiges vertes, tapissant le fond et les bords de l’immense baignoire” ne suffit pas à créer un déclic espéré. D’ailleurs, les uns après les autres, ils claquent. Et c’est un vrai délice, un jeu, un rêve où tout semble sérieux mais dépasse les bornes.
jean-paul gavard-perret
Jean-Pierre Bobillot, Promenade interdite, Tinbad, Paris, novembre 2023, 188 p. — 19,00 €.