Jean-Pierre Bobillot, Promenade interdite

Un tissu mou­vant n’attend pas de réponse

Ce livre res­semble à une mois­son­neuse –bat­teuse plus que lieuse– lit­té­raire : s’y débat entre autres, grâce à un nar­ra­teur ano­nyme, un ins­pec­teur de roman noir comme son nom Schwarz, plus gore que le chien Igor. En sept cha­pitres qui retracent sept jour­nées d’errance et de leurres, il apprend à recou­vrer — dans le bor­del de la mémoire, des rêves et fan­tasmes — des figures cachées et des pou­pées bri­sées dans les épo­pées des désirs au sein de temps des plus variés.
Ce qui ajoute encore plus de mael­stroms d’émotions  et de coups tor­dus à un puzzle psy­chique où, depuis tou­jours — à savoir le temps d’un livre -, cha­cun est mené à sa perte, même Phi­lippe II d’Espagne.

Mais tou­te­fois, et en pre­mier et pour cause, la jeune morte qui d’une cer­taine manière jus­ti­fie cette fic­tion. Celle qui avait sans doute les yeux bleus (comme toutes les Isa­belle) engage l’inspecteur sur une enquête impro­bable là où un détec­tive ne fait que com­pli­quer l’affaire et ce, par anti­ci­pa­tion.
Bref, il n’y a pas d’inspecteur Harry ni d’enquêteur Mar­lowe :  juste  le visage de la morte  même s’il n’est pas le seul à être embrouillé des algues d’une telle fic­tion en aquaplaning.

Est donc retrou­vée loin des aigues mortes celle qui, jadis sor­cière, fait désor­mais bégayer la fic­tion (mais tout autant un de ses per­son­nages). Dès lors, des fils, ce roman n’en manque pas en ses bribes d’architectures décons­truites ou imbri­quées. Il n’y a pas que des dalles à être fen­dues, que des esca­liers à ne don­ner sur rien sinon sur le mys­tère. Res­tent d’impraticables brous­sailles, des pans de logos lézar­dés. Ainsi, com­ment retrou­ver l’endroit ? Et l’envers pas plus.
Le plai­sir tient au fait que ce roman est sans réponses. Au mieux, elles sont dif­fé­rées, ren­voyées les unes aux autres en un dédale où se défont per­son­nages et intrigues, au gré d’un nar­ra­teur ano­nyme et douteux.

Que des femmes s’en mêlent, s’emmèlent et mur­murent n’y change rien. Certes, elles ne sont pas les seules. Cer­taines d’entres elles sont tou­te­fois plus haïes qu’aimées, ce qui néan­moins ne suf­fit pas à flé­cher une telle fic­tion qui a autre chose à faire que ravir ce qui se tri­cote habi­tuel­le­ment dans le roman psy­cho­lo­gique fran­çais pour les cui­si­nières de plus de 50 ans.
Une, nue, à genoux, les cuisses ser­rées, “parmi le décor de larges fleurs sty­li­sées, roses, mauves, noires, entre­la­cées d’ondoyantes tiges vertes, tapis­sant le fond et les bords de l’immense bai­gnoire” ne suf­fit pas à créer un déclic espéré. D’ailleurs, les uns après les autres, ils claquent. Et c’est un vrai délice, un jeu, un rêve où tout semble sérieux mais dépasse les bornes.

jean-paul gavard-perret

Jean-Pierre Bobillot, Pro­me­nade inter­dite, Tin­bad, Paris, novembre 2023, 188 p. — 19,00 €.

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