Et quand le premier coup est donné…
Ce roman graphique est l’adaptation, par Laurent-Frédéric Bollée du roman éponyme de Morgane Seliman (XO Éditions – 2015) où cette femme raconte la violence qu’elle a subie pendant quatre ans.
Tout semble normal dans cette maison. Mais Yassine s’énerve en fouillant dans le téléphone de Morgane, car il ne trouve rien. Il l’accuse d’avoir un autre homme dans sa vie et d’effacer toute trace. Il va la défoncer dans une heure, lui annonce-t-il. Elle est momentanément sauvée car il a faim. Morgane lui prépare son plat préféré, mais il n’est pas satisfait. Il balance tout ce qu’il y a sur la table sous un prétexte futile. Elle est épargnée par l’appel de son fils. Quand elle annonce qu’elle doit sortir pour des courses, Yassine refuse de garder son garçon et tente de l’étrangler.
Six ans plus tôt, dans cette petite ville de banlieue en Île-de-France, Morgane s’impatiente, assise dans les gradins avec Franck. Le foot ne l’intéresse pas. Yassine vient lui faire une déclaration, lui disant qu’elle sera sa femme. Est-ce le déclic qui la pousse à se séparer de Franck et à se rapprocher de lui ?
Les premiers temps ne sont que cajoleries, attentions, promesses d’une vie heureuse. Elle est ravie d’être mise sur piédestal. Un matin, parce qu’elle est en retard pour aller à son travail, elle refuse de lui servir le petit-déjeuner. Et tout dérape. Elle n’a pas été gentille, elle doit être punie. Elle ne fait rien de bien et ce sont les menaces, les coups, la tension dans l’attente de la prochaine colère.
Morgane débute une longue descente aux enfers…
En entrant dans cet album, il faut se préparer à côtoyer le pire de la nature humaine. Si, pour l’extérieur, ces individus savent être rayonnants, d’une agréable compagnie, par contre, dans le couple ils sont des êtres abjects. Morgane, en plus de son emploi, doit assurer le service de son compagnon et tenir la maison dans une propreté exemplaire. Les exigences sont de plus en plus pressantes. Il pousse le vice jusqu’à dissimuler sous le lit un petit morceau de papier, prouvant qu’elle en fait pas ce qu’il attend, ce qu’il demande.
L’horreur atteint ensuite son paroxysme. En effet, ce n’est pas sous le coup d’une colère qui pourrait excuser le geste, mais c’est avec une réelle froideur qu’il lui annonce que, dans une heure, elle va être frappée. Imaginez l’état d’esprit de cette femme qui attend les coups ! Tous ceux qui ont été torturés disent que le pire n’est pas le coup en lui-même mais l’attente du prochain. Quand le bourreau va-t-il frapper à nouveau ?
C’est la jalousie, la mesquinerie, l’art de rendre sa victime coupable et la persuader que c’est de sa faute s’il est ainsi, s’il doit agir ainsi. Cet album décrit avec une précision chirurgicale le quotidien d’une femme ainsi traitée. Combien sont-elles à vivre ainsi un tel enfer ? Un chiffre de deux cents mille est avancé, certainement sous-estimé.
Et les processus sont presque toujours identiques. Après les techniques de séduction, ce sont les phases d’isolement, que celles-ci soient géographiques, affectives, matérielles. Puis, viennent les violences psychologiques répétées, les reproches assenés pour dévaloriser.
Cette préparation psychique est le préambule à l’inversion de la culpabilité. C’est de sa faute. Si elle faisait bien, il ne serait pas obligé de la punir. Parallèlement, la peur qui s’est installée étouffe toutes réactions de la victime. Tout ceci se déroule dans le secret du logement, du couple, de la cellule familiale pour que l’image de l’agresseur reste intacte. Quelle chance a cette femme d’avoir un tel compagnon !!!
Ce récit met au jour les carences des systèmes de protection et judicaire, lents à mettre en place les procédures pour défendre ces victimes.
Francesco Dibattista assure un dessin concis, au trait délicat, mais qui exprime bien toutes la violence subie, qu’elle soit psychologique et physique. Il va à l’essentiel mais d’une manière très efficace. On ressent les coups, on perçoit la terreur de cette femme.
Cet album est un témoignage bouleversant tant par les souffrances exprimées que par le détail de ces différentes phases qui amènent à ces situations dramatiques.
serge perraud
Laurent-Frédéric Bollée (scénario d’après le livre de Morgane Seliman) & Francesco Dibattista (dessin et couleurs), Il m’a volé ma vie, Glénat, coll. “1000 Feuilles”, octobre 2023, 152 p. — 22,50 €.