Une enquête d’une belle originalité
Le titre retenu se réfère à un vieux proverbe anglais, La vérité est la fille du temps, que Josephine Tey place en exergue.
C’est en poursuivant un bandit sur les toits que l’inspecteur Alan Grant est tombé dans une trappe. Depuis, il est cloué sur un lit d’hôpital, « choyé » par deux infirmières qu’il appelle la Moucheronne et l’Amazone.
Il s’ennuie jusqu’au moment où son amie Marta Hallard, une comédienne, lui apporte une série de portraits, des dizaines de visages derrière lesquels il y a des mystères à élucider. Lucrèce Borgia était-elle consentante ou victime, Louis XVII est-il mort au temple, le comte de Leicester a-t-il tué son épouse… ? Un portrait retient son attention par la souffrance et la fatigue exprimées, Il aurait presque de la sympathie pour le personnage. Quelle n’est pas sa surprise quand il retourne la feuille et découvre qu’il s’agit de Richard III, le monstre bossu dépeint par Shakespeare, l’assassin des enfants d’Edouard, son frère. Comment a-t-il pu se tromper à ce point, lui qui a cultivé sa passion pour les visages, a procédé à des études méthodiques ?
Il veut comprendre, interroge ceux qui lui rendent visite qui expriment des sentiments différents face au visage : malade du foie, poliomyélite… Il décide de traquer la vérité quant à l’assassinat des neveux de Richard III, les fils du roi Edouard IV. Il lui faut des livres d’histoire pour se rafraichir la mémoire, mais parmi ses proches…
Pour la cinquième enquête de son policier, la romancière choisit de le plonger dans la grande Histoire et, pour qu’il ne soit pas distrait dans ses investigations, elle le cloue sur un lit d’hôpital avec une jambe dans une attelle. Afin de mener à bien ses recherches, il doit disposer d’une documentation qu’il n’est pas facile de réunir en 1951. Seule la fréquentation de livres est possible dans sa situation. Il va solliciter ses visiteurs, dépouiller des livres d’école, des romans historiques, des ouvrages écrits par des personnages dont on ne peut douter du sérieux, comme Thomas More.
Mais, il va aller de déconvenue en déconvenue, n’ayant à sa disposition que des sources fragmentaires, peu fiables, des témoignages basés sur des rumeurs, écrits a postériori par des individus partiaux, voire des ennemis.
C’est à une étude approfondie de cette époque que l’auteure convie ses lecteurs, entre la guerre des Roses, les conflits incessants entre les membres d’une même famille, la haine entre les fratries. C’est l’ambition, la prise du pouvoir quel qu’en soit le prix, qui s’exhibent.
Avec un humour très anglais, Josephine Tey présente certaines situations, explique certains faits, décrit des trouvailles et des actes du quotidien. Elle raconte de façon ludique des actes de ses personnages, ce comédien qui récite de façon mécanique un texte qu’il déclame depuis tant de représentations, la manière qu’à la Moucheronne, cette petite femme, de bouger la grande carcasse de Grant. Ce sont des a priori comme le fait que les grandes femmes soient frigides, le traitement du livre en général…
Avec une écriture alerte, elle fait vivre les recherches de l’inspecteur, sa vie d’hospitalisé et, peu à peu, à travers les découvertes de son héros, propose une version bien différente, prenant le contre-pied de la version officielle.
Un roman passionnant par sa construction, par son contenu historique, par l’art narratif mis en œuvre par Josephine Tey, un livre d’une auteure à découvrir ou à redécouvrir.
serge perraud
Josephine Tey, La Fille du temps (The Daughter of Time), traduit de l’anglais par Michel Duchien, Éditions 10/18, n°1559, coll. “Polar”, octobre 2023, 224 p. — 8,00 €.