Quand on entre dans un univers, le nom des chapitres prend une tournure parfois étrange : « Miam Miam ou l’improbable de la tartine » ; « Etes-vous un amoureux des grandes aubes ? » ; « Comment passe-t-on à la fuite ? » ; « Il avait décidé qu’on se lancerait moins aisément dans l’hécatombe » ; Et enfin « une façon de garder le lampadaire dans l’angle ».
On se demande alors : qu’est-ce qui sépare les écrivants – selon la terminologie de l’ami Friche – des écrivains ? Tout. Avec son nouveau recueil, Rachel Adalbald en est la preuve éclatante. Le monde qu’on a en soi (l’univers en somme) bat comme une bouillie qui serait l’inverse de la purée. Qu’est-ce que l’esprit Banane ? Quelle est la horde du Monde parallèle ? Adalbald nous propose « un match inattendu entre le feu et l’allumette ».
On dit toujours des jeunes auteurs qu’ils se situent entre l’écriture du grand x et le style de sieur w. Un vrai écrivain ne se situe jamais dans l’entre-deux, même si on pense à Khlebnikov et qui vous vous voudrez. C’est un massacre de parenthèses mais ce n’est pas entre une crotte et deux tirages de chasse.
L’univers d’Adalbald est étrange comme une terre parcourue mille fois. Les guêtres de Grenadine frôlent les faux jupons de Dalle d’haricot à la recherche de l’esprit Banane poursuivi par le Prince de la déraison et la Horde de la Torche noire dans une Capitale Mirage : il y a des stars du kidnapping et des gens qui font « trembler la honte et l’ombre » à leurs côtés.
Tout est foutraque, c’est dire si l’ensemble est véridique, profond, tellement rationnel qu’une longe de folie s’empare des forteresses pleines et des refuges désertés. La poésie est une succion faite à l’imperfection qui donne le sentiment d’être parfait. On songe à l’ironique Wilde qui affirmait que lorsqu’on était de son avis, il avait l’impression d’avoir tort.
Avec Adalbald, c’est l’inverse du contraire. Lorsque l’on croit comprendre, on est perdu et lorsque le labyrinthe se densifie, on ne saisit pas. C’est cette infinité des infinis à parachever, soudoyant votre intelligence pour qu’elle se laisse faire, voire corrompre, qui sale ce tourbillon d’images et de figurines.
La poétesse est une lame ininterrompue qui rappelle que la mer semble transpercée de contours qu’occupent des êtres obscurs, à deux pattes, à la cervelle chancelante, dont « une led en panne est probablement ce qui se rapproche le plus de ce (qu’ils sont) ». Adalbald oscille entre « le souvenir de la cendre et la transmission infernale du souvenir de la cendre » comme si la brûlure s’enthousiasmait de l’ironie des flammèches et de l’eau que l’on jette sur une friteuse pleine d’huile bouillante.
Chez les poètes, il y a ceux qui aiment les frites et ceux qui en apprécient l’odeur, ceux qui en détestent le bouquet et ceux en abhorrent le toucher : bref, on est de la poésie comme de la fête foraine mais il est rare qu’on décroche le pompon.
Adalbald a sanctifié les autotamponneuses puisqu’elle vénère la percussion et cette « horreur… qui croupit dans ta gorge » lorsque l’univers et ses quartiers d’hiver s’immobilisent dans « la stratosphère des probabilités ». Au fond, il suffit de « détricoter le sommet » et considérer que la pluie est l’un des organes qui nous constitue.
Adalbald nous entraîne très loin du roulement à billes du déjà-lu et du proxénétisme des librairies. Un poète, cela sent fort. C’est presque un appel à fermer parfumeries. Dans cette perspective, Adalbald joue avec les bienheureuses boules puantes de l’avenir.
valery molet
Rachel Adalbald, Capitule, Mirage !, éditions Bozon2x, octobre 2023, 169 p. — 21,00 €.
Bonjour Valéry
Merci beaucoup pour cette chronique