Et nous voici les voyeurs obligés de Laure. Elle projette son corps, son âme. Et nous voici projetés et démultipliés car l’œuvre est aussi spirituelle qu’incarnée. Cela peut sembler cruelle ou pornographique pour un public effarouché. Mais Laure demeure pudique et nue de nuées.
Sa vulve parfois béante s’ouvre — mais sur l’imaginaire. Le lecteur se plaît à envisager l’auteure coupable d’imposer son implicite injonction : “regarde !”. Mais nous venons de là. Nous sommes soumis de la sorte à nous infiltrer par où ça passe et où ça ne finit pas de s’enfoncer.
La vie s’y rattache — même dans ses envolées. Et Laure l’oblige à regarder par son trou de serrure pour voir non seulement ce qu’on espère mais aussi des abysses. Comme Artaud, elle a été à sa manière une suicidée de la société dont elle fait partager le sort des victimes. Elle tient debout dans ses textes comme si c’était un miracle et ce, pour dire l’absence et le manque. Mais l’accomplissement n’est pas oublié. Il est plus qu’émis : il devient la poésie.
Ce qui est masqué des abîmes de l’être, l’auteure le révéla en nous faisant aussi participer à sa quête. Tout un monde intérieur est là, entre orgasme et douleur, dans un effet de sublimation là où le cri d’entrave du cœur trouve des mots pour se dire.
Des courants d’énergie libidinale et mystiques appellent à la rencontre impossible, au seuil infranchissable. Mais ce qui se soustrait est tout autant offert. Laure est devenue voyante de ses voyeurs. Elle connaît leur obscur et s’est s’adressée encore à eux.
Ecoutons-là. Car elle nous manque. Ecoutons-là dire ses symptômes, évoquer écarts, ruptures et convulsions lentes.
jean-paul gavard-perret
Photo Sabrina Bambou