C’est dans le cadre des grandes luttes sociales du début du XXe siècle que Gwenaël Bulteau place son nouveau récit. Il prend comme point de départ la catastrophe minière de Courrières le 10 mars 1906. Celle-ci faisant officiellement 1099 morts et la plus importante d’Europe, et la deuxième au monde. Son traitement va être un des détonateurs, lançant les mineurs dans une lutte sans merci.
Mais il traite d’abord de la lutte des femmes pour accéder à la liberté, la liberté dans le mariage patriarcal, de disposer de leur corps, contre les diktats qui les brident et pour le droit de vote. Il met en scène Madame Sorgue, une anarcho-syndicaliste qui va être surnommée La femme le plus dangereuse d’Europe (excusez du peu !) quand elle diffusera les idées et les méthodes syndicalistes françaises en Grande-Bretagne. Madeleine Pelletier, cette docteure qui se bat pour la possibilité d’avorter. Deux femmes remarquables bien oubliées aujourd’hui mais qui ont pesé sur le féminisme et le syndicalisme.
Le titre d’ailleurs va dans ce sens. Ne fait-il pas dire à Lucy que : “Le Grand Soir aura lieu quand les femmes seront libres.”
Louise Michel, La Louve, est enterrée à Levallois-Perret ce 22 janvier 1905. Sous une neige fine et collante, des milliers de personnes accompagnent son modeste cercueil. Parmi la foule, Jeanne, qui a décidé de ne pas rentrer dans le rang imposé par sa famille. Mais, elle ne sait pas qu’elle vit son dernier jour.
Lucy, en ce 12 avril 1906, cherche à retrouver sa cousine, Jeanne Desroselles, qui a disparu depuis plus d’un an. Son oncle Serge a fait fortune dans la chimie et dans le soufre. À Roquefort, ce même jour, la citoyenne Sorgue, de son vrai nom Antoinette Durand de Gros, mène la grève. En cinq jours, les six cents ouvrières des caves ont obtenu gain de cause, même le renvoi du plus terrible des contremaîtres, Delavache.
À l’hôtel, Sorgue est agressée par le contremaître qui veut venger son renvoi. Leroy, son secrétaire-garde du corps intervient et alors que l’homme allait se rendre à la raison, elle sort l’arme en sa possession et le tue. Mais Sorgue et Leroy étaient à Courrières un mois avant, lors de la catastrophe minière, point de départ d’un mouvement de fond et de l’assassinat, d’une balle dans le dos, d’un sinistre syndicaliste…
Si le terrain des luttes sociales occupe une large place dans le roman, l’auteur étend son champ d’actions en explorant le quotidien des populations ouvrières, les conséquences de la précarité des emplois. Il évoque la prostitution, les combines pour subsister, les bidonvilles. Il rappelle les anarchistes et la violence revendiquée comme outil.
Avec Le Grand Soir, Gwenaël Bulteau signe un roman magnifique qui rappelle les luttes des femmes pour leur émancipation, celles des ouvriers pour de meilleures conditions de travail et sortir de la misère. Et, c’était la double peine pour une femme ouvrière. Les apports historiques conséquents donnent une richesse et une qualité supplémentaires à l’intrigue.
serge perraud
Gwenaël Bulteau, Le Grand Soir, Éditions 10/18 n° 5895, coll. “Polar”, octobre 2023, 240 p. — 7,50 €.