Parce qu’il a voulu tuer l’assassin de son épouse, un sergent de la police politique de Mussolini, Alexandre doit se réfugier au Vatican. De là, il part en pleine Seconde Guerre mondiale à la recherche d’une vérité. À partir des Antiquités juives de Flavius Josèphe, qui cite Jésus à deux ou trois reprises, il traque des écrits de Juste de Tibériade, un autre historien juif.
Si les écrits du premier ont traversé les âges, ceux du second ont sombré dans l’oubli. Mais Flavius s’était rangé dans le camp des vainqueurs, les Romains, alors que Juste écrivait l’histoire des vaincus. Et les événements ne sont pas racontés de la même manière, l’existence du Christ en particulier.
Mais la Palestine est encore plus en ébullition que le reste de l’Europe et du Moyen-Orient. Toujours sous contrôle anglais, le pays est le terrain de luttes entre les principaux belligérants qui grenouillent selon leurs objectifs. Les Russes du NKVD mobilisent Esther, une musicienne juive, pour tenter de convaincre les Allemands. Le Grand Mufti de Jérusalem passe du côté des nazis et va manipuler un jeune arabe pour tuer Alexandre. Ce dernier mène une quête pour rendre justice à un historien juif et tenter de trouver la vérité sur ce qui s’est réellement passé lors de la guerre judéo-romaine au Ier siècle.
L’essentiel du récit se déroule pendant la seconde Guerre mondiale car une telle période de bouleversements autorise des actions difficilement concevables dans d’autres cadres. Dans de telles conditions, tout est possible et on a vu que les limites de la barbarie, déjà bien repoussées par Staline, franchir un cap supplémentaires avec les nazis. C’est également dans ces périodes que l’être humain donne le meilleur de lui-même dans les deux sens, l’ignominie ou l’héroïsme.
Stephen Desberg traque la vérité. Mais, celle-ci existe-t-elle sachant que les possibilités de la travestir sont innombrables ? Il évoque ces deux historiens juifs du Ier siècle dont les écrits de l’un sont restés accessibles alors que tout a été fait pour détruire l’œuvre de l’autre. Mais n’est-ce pas l’application de l’adage selon lequel ce sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire ?
Pour animer son intrigue, l’auteur met en scène trois personnages centraux entourés d’une belle galerie de protagonistes, certains authentiques, d’autres issus de la fiction. Outre Alexandre, Esther et Bilal jouent un rôle important. Esther s’est réfugiée en Palestine pour échapper à la déportation et Bilal se fait manipuler par son responsable religieux pour assassiner Alexandre.
Riche en apports historiques, le récit de Stephen Desberg est fascinant, porté par un grand souffle.
Bernard Vrancken met en images cette saga. Comme celle-ci se déroule pendant la guerre judéo-romaine et le sac du temple de Jérusalem en l’an 70 et celle commencée en 1939, il utilise des techniques différentes pour rendre les ambiances, du dessin à l’encre au lavis au pinceau. Il rend palpable les atmosphères et propose de magnifiques double-pages avant de recentrer les vignettes sur les protagonistes.
La mise en couleurs est l’œuvre de Colette Vercouter, une personne très proche du dessinateur et qui sait comment celui-ci aurait travaillé. C’est l’osmose qui donne de tels résultats.
Un album qui interpelle, par cette magnifique illustration de la fragilité de la Vérité, par sa mise en images réalisée avec maestria.
serge perraud
Stephen Desberg (scénario), Bernard Vrancken (dessins) & Colette Vercouter (couleurs), Les Enfants du ciel, Éditions Daniel Maghen, septembre 2023, 184 p. — 29,00 €.