Lauriane Chapeau & Loïc Verdier, Storyville — L’École du Plaisir

Dans un “haut-lieu de plai­sir”, où est celui de la femme ?

Trop long­temps tabou, le plai­sir sexuel fémi­nin est abordé, reven­di­qué de plus en plus au grand jour. Lau­riane Cha­peau l’approche par le biais d’une ado­les­cente curieuse et pétu­lante et ins­talle cette recherche dans un lieu, a priori, peu pro­pice : une mai­son close.

À la Nouvelle-Orléans, en 1917, Gus­tavo et Anto­nio Del Sol, vivent du tra­fic d’alcool. Leur jeune sœur, Santa Maria, découvre les sen­sa­tions de cer­taines par­ties de son corps. Elle est très intri­guée en enten­dant ses frères par­ler d’aller chez Lala, Tavo s’exclamant que Nina l’attend. Elle veut en connaître un peu plus, sachant déjà que Lala est la tenan­cière du Make­Lo­ve­toMe, un bor­del dans le quar­tier de Sto­ry­ville.
Lorsque ses deux frères décèdent de la syphi­lis, elle veut tuer Lala qu’elle consi­dère comme res­pon­sable de leur mort. Elle s’arme et pré­vient Tre­vor, son ami d’enfance, de ses inten­tions. Celui-ci la convainc de le lais­ser faire, mais il ne vient pas au rendez-vous qu’ils s’étaient fixés. Pour com­prendre pour­quoi Gus­tavo et Anto­nio allaient tout le temps chez Lala, elle se déguise en homme. Démas­quée, elle est jetée dehors.

Elle est recueillie par une fille, en ren­contre d’autres et se fait recru­ter comme femme de ser­vice. C’est en consta­tant com­ment les hommes traitent ces femmes, le peu de cas qu’ils font de leur par­te­naire d’un court moment, qu’elle a l’idée de don­ner à celles-ci accès à ce plai­sir. Elle convainc Lala d’ouvrir une école…

Avec un sujet grave, la scé­na­riste déroule un récit enlevé, tru­cu­lent et drôle en mêlant nombre de thé­ma­tiques autour du thème prin­ci­pal. Elle aborde, en toute liberté, de façon joyeuse mal­gré les menaces qui pèsent sur les femmes et sur les lieux, le plai­sir fémi­nin, sa recon­nais­sance, son approche et sa recherche.
Elle pro­pose une gale­rie de per­son­nages fémi­nins inat­ten­dus, à com­men­cer par l’héroïne, cette jeune femme de 17 ans, titillée par des sen­sa­tions qui s’éveillent, qui peint en rose l’univers de la pros­ti­tu­tion. Lala qui se révèle plus humaine et plus libre qu’on pour­rait le pen­ser. Des femmes, toutes atta­chantes par leur vécu, par leur évo­lu­tion vis-à-vis de leur situation.

Quelques mes­sieurs ont un rôle cor­rect et quelques-uns sont immondes à sou­hait. La pudi­bon­de­rie hypo­crite de cer­tains poli­tiques, de cer­taines caté­go­ries sociales font le reste pour frei­ner un pro­grès jugé scan­da­leux. Alors qu’en 2023 il reste énor­mé­ment à faire pour la liberté des femmes, l’histoire se déroule en 1917. C’est éga­le­ment la remise en cause de la domi­na­tion mas­cu­line.
En pre­nant comme cadre un bor­del, qui se défi­nit pour les mes­sieurs comme un haut lieu de plai­sir, la scé­na­riste inter­roge sur celui de la pros­ti­tuée. Elle aborde la part égale du droit au plai­sir de la femme dans un rap­port hété­ro­sexuel.
C’est parce que la Nouvelle-Orléans, dans l’imaginaire, est un sym­bole de fête, de joie que l’auteure retient ce cadre pour son récit.

Loïc Ver­dier assure un des­sin en toute liberté, don­nant à voir des per­son­nages bros­sés en quelques traits. Il a été séduit par cette fable au par­fum d’érotisme dans une mai­son close en Loui­siane. Et cette séduc­tion se res­sent dans la mise en scène des corps fémi­nins, des corps semi ou tota­le­ment dénu­dés dans une par­faite inno­cence. Rien n’est obs­cène, mal­sain dans les nus. Il faut appré­cier le tra­vail sur les décors, la recons­ti­tu­tion de l’atmosphère de ces bor­dels de l’entre-deux guerres.
La mise en cou­leur se par­tage entre Chiara Di Fran­cia et Loïc Ver­dier, des com­po­si­tions de teintes douces du plus bel effet.

Avec cette fable, les auteurs pro­posent un récit pas­sion­nant, drôle, aux dia­logues per­cu­tants, avec une his­toire dense qui éclaire un état de fait trop volon­tai­re­ment dis­si­mulé, servi par un gra­phisme délicieux.

serge per­raud

Lau­riane Cha­peau (scé­na­rio), Loïc Ver­dier (des­sin et cou­leur) & Chiara Di Fran­cia (cou­leur), Sto­ry­ville — L’École du Plai­sir, Glé­nat, coll. “Hors Col­lec­tion”, sep­tembre 2023, 104 p. — 19,50 €.

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