Le pape François possède cette particularité d’être adoré par les non-catholiques et très controversé à l’intérieur du monde catholique, dont une partie significative rejette ses réformes pour le moins audacieuses. Personnalité ô combien complexe, et à certains égards, mystérieuse. D’où la nécessité de se plonger dans le livre-portrait que lui consacre Jean-Marie Guénois. Un ouvrage passionnant, et ce, pour trois raisons.
La première tient à l’auteur. Même s’il conteste le titre de “vaticaniste”, Jean-Marie Guénois — journaliste de la vielle école — connaît parfaitement le monde du Vatican, ses us et coutumes, ses traditions, ses grandeurs et ses petitesses, ses codes, sa foi et ses cruautés. Ce bagage intellectuel, couplé à une écriture limpide, donne à ses analyses une densité qu’il faut souligner
La deuxième concerne le fond même de l’analyse du pontificat. La personnalité de François est tracée avec justesse et objectivité, sans rien cacher de ses défauts, voire de ses travers, tandis que son projet ecclésial, déroutant, est replacé dans le contexte de notre époque, dans l’itinéraire du futur pape, dans son caractère, dans ses références religieuses et intellectuelles : le p. Congar, le cardinal Martini, et bien sûr son appartenance aux Jésuites, laquelle constitue, selon J.-M. Guénois, la clé de lecture fondamentale. François est bel et bien un homme de gauche, progressiste, déterminé à appliquer, dans sa totalité et dans une vision de rupture, le concile Vatican II.
La troisième relève de la démarche critique de l’auteur. Critique au sens le plus noble du terme. Autrement dit, J.-M. Guénois n’est ni un thuriféraire du pape argentin (il n’en manque pas…), ni un adversaire implacable ( il n’en manque pas non plus!). Il décrypte les réformes lancées, abouties ou non, avec le recul nécessaire pour en voir les éventuels bienfaits, mais surtout les aspects plus contestables.
François soulève des questions de foi et de doctrine centrales, avec détermination et autoritarisme, heurtant de plein fouet les catholiques qui, contre vents et marées, luttent pour transmettre la foi à leurs enfants et vivre selon les règles que l’Eglise leur impose depuis toujours.
Oui, l’Eglise qui, depuis Vatican II, a tout essayé : l’équilibre avec Jean-Paul II, la tradition avec Benoît XVI et le progressisme avec François sans parvenir à enrayer le désastre et empêcher le bateau de couler en Europe. Comme l’analyse J.-M. Guénois à la fin de son livre, la tâche du successeur sera titanesque.
Car c’est bien une révolution qui est à l’œuvre. Ce qui soulève une question de fond cruciale : quelle crédibilité peut avoir une institution qui, pendant deux mille ans, interdit tel ou tel comportement à ses fidèles et le définit comme un péché grave, pour, d’un coup, en fin de compte, l’autoriser?
frederic le moal
Jean-Marie Guénois, Pape François. La révolution, Gallimard, septembre 2023 , 282 p. — 21,00 €.