Quand le meilleur côtoie le pire
L’Occupation allemande a été l’occasion du meilleur et du pire. C’est en prenant en compte ces deux données que le romancier conçoit une histoire magnifique par sa densité et sa rouerie. Il met en scène des actions qui ont pu se dérouler dans le contexte. Nombre de ceux qui fuyaient la barbarie ont vécu, sans aucun doute, des situations similaires.
On connaît aujourd’hui les filières d’évasion, les risques énormes pris par les résistants, les vrais, les modestes, les taiseux, par les passeurs, pour sauver des vies. Mais, c’est aussi la pleine période de la dénonciation, de la délation, de la spoliation des biens de toute nature. Avec cette matière, Benoît Séverac installe un récit captivant de bout en bout, une histoire dans l’Histoire du plus beau résultat.
De nos jours, un Français se morfond dans une salle d’interrogatoire à Jérusalem. Il est accusé d’avoir volé un tableau, d’avoir spolié des juifs.
En décembre 1943, Gilbert Fauré, leur voisin qui travaille à la préfecture, prévient Eli et Jeanne Trudel de l’imminence de leur arrestation. Ils fuient alors avec un maigre bagage.
C’est sa tante, la sœur aînée de sa mère, qui révèle à Stéphane l’existence du tableau d’un peintre juif. Celui-ci a été donné à son père en remerciement pour les avoir cachés dans son grenier dans les Cévennes, pendant l’Occupation. Ce tableau d’Eli Trudel vaut plus de cent mille Euros.
Or, Stéphane et Irène ont eu bien des déboires. Leur hôtel à Firminy a périclité suite à la désindustrialisation de la vallée minière et l’entreprise de transports, qu’il a montée avec trois camions, n’a pas résisté quand les gilets jaunes en ont incendié un.
Si Irène voit l’opportunité d’une nouvelle vie, Stéphane ne veut pas le vendre. Il souhaite restituer l’œuvre au peuple juif et demander le statut de Justes parmi les Nations pour son grand-père.
Outre les belles dissensions que cette décision fait déferler dans le couple, il lui faut débrouiller un écheveau de manigances car dans la période très troublée qu’était l’Occupation
L’auteur intègre également nombre de réflexions, d’apports, d’informations appropriées pour structurer son récit et lui donner du corps. Il évoque ainsi la relativité du génie artistique, de sa perception selon les individus. De fait, Irène trouve que ce tableau est moche alors que le marché de l’Art lui donne une belle valeur. On se demande qui détermine et sur quels critères bien subjectifs qu’une œuvre mérite une place dans un musée et que d’autres ne sont bonnes qu’à être vendues dans des brocantes. S’extasier devant certains tableaux, des Picasso ou d’autres, interroge.
Séverac détaille le statut de justes devant les Nations et une partie de la procédure pour être reconnue comme tel.
Avec Stéphane et Irène, il décrit la vie d’un couple quand les échecs se succèdent même s’ils sont dus à des facteurs extérieurs. Combien de personnes ont sombré parce que les petites unités de production ont fermé suite aux tsunamis de produits chinois ? Le roman dissèque les relations de plus en plus tendues, la tentation de faire porter à l’autre la responsabilité de la situation, les sentiments exprimés, les rancœurs.
Si les événements relatés dans le roman sont fictifs, le tableau est bien réel. Il est l’œuvre de Willy Eisenschitz (Vienne 1889 — Paris 1974).
Avec ce nouveau roman, Benoît Séverac signe un superbe livre, un récit puissant, une histoire qui se lit avec avidité tant les péripéties décrites sont prenantes.
serge perraud
Benoît Séverac, Le tableau du peintre juif, Éditions 10/18, coll. “Polar”, septembre 2023, 336 p. — 8,60 €.