La chose ou son spectre
Avec la série « Les bitaustères », le phalle pointe sa tige mais sans vraiment sortir de sa propre coquille. Nous en sommes en quelque sorte aux potentiels préludes. Pour preuve, Rodia Bayginot enveloppe les ustensiles loin du travail du deuil et de la mélancolie, car c’est moins pour les cacher que les suggérer en un faux linceul.
Cela revient à ranimer ce qui souvent hante et travaille. A ce titre, l’iconoclaste demeure fidèle à la condition humaine pour en décrypter les possibles infirmités. Elle quitte ici les métaphores pour des métamorphoses en rien moroses. Elles illustrent ce qui nous affecte et nous grignote.
De telles sculptures textiles recréent l’espace du désir et rappellent la vie d’avant le jour et d’avant le langage. Il convient donc d’y entrer et de s’y débattre comme nous le pouvons. Car par leur vision, ces oeuvres appâtent notre inconscient, le concentrent. Et de ce fait, la créatrice désinhibe et dégage des terreurs mystiques.
Les sexes épinglés, dressés, emmitouflés et à l’esprit aveugle réinventent une humanité “blanche” qui accouche sa chimère. L’artiste fait penser à ces femmes Mayas qui créent d’étranges poupées faites de divers morceaux. Mais les siennes sortent des traditions. Elles sont voluptueuses, fantaisistes et soulèvent de nombreuses questions au sujet de la féminité, de la masculinité et des transgenres.
Rodia Bayginot appartient donc à la grande épopée de l’art du temps. Sa création en son dynamisme côtoie toujours l’abîme comme le surgissement de la vie. Mais nul ne peut affirmer si elle est post-moderne, moderne, baroque, classique et qu’importe. A nos temps troublés, elle répond par le pouvoir ensorcelant et ironiques de ses créations.
jean-paul gavard-perret
Rodia Bayginot, Les bitaustères, festival Splash, regards croisés sur le désir, Marseille, du 24 septembre au 1er octobre 2023.