Si Zidrou et Josep Homs proposent une série remarquable sortie tout droit de leur imagination fertile, ils jouent avec des faits et des personnages historiques. Ainsi, en plaçant l’intrigue du présent album à l’été 1858, ils prennent en compte la canicule qui a sévi cette année-là.
La Tamise, en partie asséchée, a répandu une odeur pestilentielle sur toute la ville amenant les plus fortunés à déserter pour rejoindre leur résidence secondaire. Cet événement a eu les honneurs de la Presse qui l’a baptisé The Big Stink — La Grande Puanteur. Mais c’est aussi une épidémie de choléra qui sévit.
Suite à la manifestation durement réprimée des Mères en colère, Kita a été blessée par balle et Jay, Jennifer Winterfield, enfermée à Holloway Prison. Soignée par Sensei, Kita raconte aux enfants les circonstances où elle a rencontré celui-ci pour la première fois.
Jay reçoit, des Gifr Sisters, deux membres d’une société de promotion de la doctrine chrétienne, une bouteille d’encre et une plume. Elle va pouvoir continuer son journal destiné à Apolline, sa fille qui lui a été enlevée à sa naissance. Elle raconte la famille, les horreurs qui s’y déroulent sous le vernis de la respectabilité et sa révolte. Elle explique le mouvement des Mères en colère, l’exploitation des enfants.
Parallèlement, on suit l’enquête du commissaire, assisté de la jeune et dynamique Kristofferson, pour comprendre les décès des enfants, l’acharnement du commissionnaire Fiddle pour trouver Apolline. C’est, aidée par l’entité mobilisée par Sensei, que Jay peut sortir de prison et les rejoindre. Ils veulent continuer la lutte et décident d’une action spectaculaire avec la famille royale, accusant la reine Victoria d’être responsable du massacre des femmes…
Les scénaristes explicitent, avec de subtils flashbacks, le passé des héros, les origines, les circonstances de certains événements. Ils donnent une image peu reluisante de la société huppée londonienne, révélant des secrets familiaux de la tribu Winterfield. Ils usent d’un humour caustique, voire féroce, mais illustrant à merveille les fondements, les situations, les états de faits.
Ainsi, les auteurs développent un récit d’une belle richesse, resserré, rigoureux, entremêlant aventure, fantastique et thriller. Mais ils mettent en avant nombre de considérations sociales et humanistes comme cette lutte pour faire interdire le travail des enfants de moins de neuf ans. Ils illustrent subtilement le contexte conservateur de cette Angleterre victorienne, mettent en scène, pas spécialement à son avantage, cette femme qui peupla toutes les cours royales d’Europe.
Cette série ne serait pas ce qu’elle est sans le graphisme de Josep Homs qui offre un dessin si expressif, à la fois dynamique, détaillé, allant du réalisme jusqu’à des pointes de caricature. Il met en images des scènes fortes, des personnages d’une grande beauté, que celle-ci illustre l’humanité, l’hypocrisie ou l’ignominie. Alliant traits élégants et mise en couleurs appropriée, il propose des planches d’une totale réussite.
Ce second cycle se termine de façon ouverte, laissant présager de prochains albums, une excellente nouvelle pour tous les amateurs, très nombreux, de bandes dessinées d’exception.
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serge perraud
Zidrou & Josep Homs (scénario), Josep Homs (dessin et couleurs), Shi — t.06 : La Grande Puanteur, Dargaud, septembre 2023, 56 p. — 15,95 €.