Anita Mucolli, Power Games, 2023, Potential Players (exposition)

Pano­ra­mique des supplices

Inté­res­sée par les rela­tions homme-animal et les struc­tures de pou­voir et d’abus qui y sont liées, Anita Mucolli a créé deux ins­tal­la­tions explo­rant le thème de l’élevage et de la domes­ti­ca­tion : Poten­tial Players (2023) et Power Games (2023).
Ins­pi­rées des tables uti­li­sées dans les salons de toi­let­tage canin, ces œuvres regorgent de réfé­rences à dif­fé­rentes pra­tiques d’entraînement : acces­soires à mi-chemin entre laisses et fils, fla­cons en verre conte­nant un liquide à base de phéromones.

Une réfé­rence à la fois aux sup­plé­ments uti­li­sés pour amé­lio­rer les per­for­mances chez les che­vaux et aux sub­stances sécré­tées par les glandes humaines qui sus­citent l’intérêt sexuel chez d’autres indi­vi­dus — ou même des cercles métal­liques, à mi-chemin entre col­liers et menottes, évo­quant le thème de l’instinct et du désir ani­maux.
Les tables se trans­forment ainsi en un mélange de mobi­lier vété­ri­naire, chi­rur­gi­cal et de salon et, dans un sens plus large, en objets uti­li­sés pour cer­taines pra­tiques sexuelles, explo­rant ainsi les ques­tions éthiques et morales liées à la sur-reproduction et au bien-être ani­mal, mais aussi à l’objectivation et à la féti­chi­sa­tion des ani­maux par les humains.

La puis­sance de ses ins­tal­la­tions gran­dioses mais mini­ma­listes tient à ce que, lorsque tout a été enlevé dans l’espace en une forme de ce qu’un autre mini­ma­liste (Par­mig­giani) nomme des “delo­ca­zione”, demeure la mémoire d’images vides et pour­tant lourdes de mémoire du lieu.
Quelques lignes ten­dues suf­fisent à rompre le décor pour que nous plon­gions comme si, sou­dain, l’espace n’était capable que de néant. L’artiste crée ainsi un entre­tien atterré avec l’espace là où il montre l’état par­ti­cu­lier d’une fron­tière occulte qui désor­mais sépare concrè­te­ment le vide et le plein.

Ce qui compte pour l’artiste c’est donc l’Entre. La tona­lité mélan­co­lique (plus que nos­tal­gique) des œuvres semble pro­fon­dé­ment liée à une sorte d’état des lieux émer­geant en néga­tif de la dis­pa­ri­tion des choses elles-mêmes. Reste un état de sur­vi­vance où l’étrangeté du temps est mise en scène par le vide du lieu. Il s’agit de faire émer­ger une esthé­tique de l’Intervalle.

L’ “objet” artis­tique n’est plus une simple dépo­si­tion mais un avè­ne­ment qui trans­perce de son flux et de sa lumen les appa­rences liées à la notion d’empreintes. Les ins­tal­la­tions consti­tuent des pay­sages ten­dus plus que fer­més qui nous conduisent pro­gres­si­ve­ment vers ce “monu­ment” de béton qu’est le lieu de l’exposition, non pour en sou­li­gner une beauté (qui n’existe pas) mais à l’inverse afin d’en faire émer­ger le creux.

jean-paul gavard-perret

Anita Mucolli, Power Games, 2023, Poten­tial Players, Museo Villa dei Cedri, Bel­lin­zona, 2023.

1 Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Echos d'Italie / Echi dell'Italia

One Response to Anita Mucolli, Power Games, 2023, Potential Players (exposition)

  1. Villeneuve

    Comme tout cela est bien exposé par Dame Mucolli et … ana­lysé par JPGP ! Bravo au duo sen­sible à la condi­tion des animaux .

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